Sachso
près, encadrés de S. S. avec leurs chiens et suivis par la marmaille d’alentour.
« D’autre part, une petite formation dont je fais partie est autorisée à aller jouer certains soirs au block des Norvégiens et au block des Français, le 16, en face du nôtre.
« Il nous arrive aussi d’être envoyés pour jouer entre les blocks du Revier… »
Cependant, les musiciens ne sont pas exempts du risque d’être rejetés dans le troupeau éliminable à merci. Un jour, Marcel Soubeirat a maille à partir avec le chef d’orchestre Peter Adam : « Nous répétions “Cavalliera rustkana.” À l’ouverture, il y a une sicilienne avec un grand solo de violoncelle. Peter Adam la dirigeant d’une façon très rigide, en chef militaire, je lui fais remarquer : “Peter, ça ne se joue pas comme ça ; c’est italien, piano !” Agressif, il me répond qu’il dirige comme c’est écrit. Je m’énerve et lui réplique un peu sèchement, ce qui lui déplaît beaucoup. En représaille, il me désigne pour partir dans un mauvais transport.
« Conscient du péril qui plane sur ma tête, je m’en ouvre à un des détenus allemands de la direction du camp, Volck, pour qu’il me fasse réintégrer dans l’orchestre. Mais Peter Adam contacte de son côté le commandant S. S. du camp. Je suis bon pour le transport…
« Robert Teurquety me réconforte : “Écoute, nous ne nous sommes jamais quittés, je pars avec toi.” Après avoir, je crois bien, giflé le chef d’orchestre, il est à mes côtés le lendemain sur la place d’appel parmi les huit cents partants du transport.
« Soudain, miracle ! Le haut-parleur annonce que sur décision de Himmler il n’y aura pas de Français dans ce convoi. Nous ne sommes que deux à sortir des rangs, nous deux, et, au grand dépit de Peter Adam, nous réintégrons la musique… »
Un événement d’un autre ordre mais aussi exceptionnel se produit un dimanche midi, à la fin de l’été 1944. Des Polonais capturés lors de la révolte de Varsovie sont arrivés à Sachsenhausen, des hommes et des enfants, parmi lesquels certains n’ont guère plus de trois ans. Ils sont sur la place d’appel lorsque les kommandos de travail rentrent au camp, aux sons de l’orchestre. Louis Péarron, stupéfait, voit un de ces gosses quitter son père figé au garde-à-vous : « Il traverse les rangs et se place, en admiration, devant la grosse caisse. Je tremble pour le bambin en pensant qu’ils vont le massacrer pour ce geste d’indiscipline. Eh bien, non ! Le commandant et les S. S. sont-ils désarmés par tant de candeur ? Ils laissent l’enfant, ne le frappent pas…
« Hélas, ce geste est sans lendemain. L’enfant disparaît le premier, puis c’est le père que nous ne revoyons plus… »
Un spectacle encore plus rare est offert une fois à des détenus : une séance “récréative” en plein air, vers la mi-juillet 1944. André Cros assiste à cette séance unique, motivée par la venue d’une commission de la Croix-Rouge internationale à qui les S. S. veulent faire constater la vie “détendue” au camp :
« Ce jour-là, avec mon camarade André Bonnet, nous travaillons comme d’habitude au kommando Speer à décharger des péniches de sacs de ciment quand, juste avant midi, on nous ordonne de stopper et de rentrer au camp.
« Très surpris, nous nous demandons ce qui se passe. Allons-nous retourner à notre block, le 46 ? Non, sitôt franchie la porte du camp, nous allons vers un coin de la place d’appel où des rangées de bancs sont disposées en demi-cercle devant un écran. Nous n’en croyons pas nos yeux.
« Nous avons droit à de belles paroles et à des vues de la propagande allemande. Quel “cinéma”, mais cette mascarade peut-elle impressionner les visiteurs de la Croix-Rouge que, pour notre part, nous ne voyons pas ? »
En réalité, la vie quotidienne au camp est un douloureux calvaire jalonné de toute une gamme de sanctions calculées par les S. S. Elles n’ont rien à voir avec les brimades et brutalités coutumières dans les blocks : gifles et coups, privation de soupe, piquet à la porte du block, station à croupetons sur le haut des placards, etc. Ça, c’est monnaie courante et laissé à l’appréciation personnelle des chefs de blocks et des surveillants détenus, appelés « kapos » dans les autres camps mais pas à Sachsenhausen. Non, les sanctions des S. S. sont distribuées selon une
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