Sämtliche Werke
pas, par exemple, qu’elle s’était toujours imposé la tâche de porter tous les faits de l’époque, non seulement avec la plus grande promptitude à la connaissance du monde, mais aussi de les enregistrer complètement dans ses feuilles comme dans des archives cosmopolites. Il me fallait donc constamment songer à revêtir de la forme d’un fait tout ce que je voulais insinuer au public, l’événement aussi bien que le jugement que j’en portais, bref, tout ce que je pensais et sentais; et dans ce dessein, je n’hésitais pas à mettre souvent mes propres opinions dans la bouche d’autres personnes, ou même je parabolisais mes idées. Voilà pourquoi mes lettres contiennent beaucoup d’historiettes et d’arabesques, dont le sens symbolique n’est pas intelligible pour tout le monde, et qui ont pu paraître aux yeux du lecteur superficiel comme un ramassis de jaseries mesquines et de notices de gobe-mouches. Dans mes efforts de faire toujours prédominer la forme du fait, il m’importait également de choisir pour mon langage un ton qui me permit de rapporter les choses les plus scabreuses. Le ton le plus avantageux à cet égard était celui de l’indifférence, et je m’en servis sans scrupule. Indirectement il y avait aussi moyen de donner plus d’un avis utile et de faire maint redressement salutaire. Les républicains qui se plaignent d’une absence de bon vouloir de ma part, n’ont pas considéré que pendant vingt ans, dans toutes mes correspondances, je les ai, en cas d’urgence, défendus assez sérieusement, et que, dans mon livre de »Lutèce«, je faisais bien ressortir leur supériorité morale, en mettant continuellement à nu l’outrecuidance ignoble et ridicule et la nullité complète de la bourgeoisie régnante. Ils ont la conception un peu lourde ces braves républicains, dont j’avais d’ailleurs autrefois une meilleure idée Sous le rapport de l’intelligence, je croyais que leur étroitesse d’esprit n’était que de la dissimulation, que la république jouait le rôle d’un Junius Brutus, afin de rendre par cette feinte imbécillité la royauté plus insouciante, plus imprévoyante, et de la faire ainsi tomber un jour dans un piège. Mais après la révolution de Février je reconnus mon erreur, je vis que les républicains étaient réellement de très honnêtes gens qui ne savaient pas dissimuler, et qu’ils étaient en vérité ce dont ils avaient l’air.
Si les républicains offraient déjà au correspondant de la »Gazette d’Augsbourg« un sujet très épineux, il en était ainsi à un bien plus haut degré pour les socialistes, ou, pour nommer le monstre par son vrai nom, les communistes. Et cependant je réussis à aborder ce thème dans la »Gazette d’Augsbourg«. Bien des lettres furent supprimées par la rédaction de la Gazette qui se souvenait du vieux dicton: »II ne faut pas peindre le diable sur le mur.« Mais elle ne pouvait pas étouffer toutes mes communications, et, comme je l’ai dit, je trouvai moyen de traiter, dans ses prudentes colonnes, un sujet dont l’effroyable importance était tout à fait inconnue à cette époque. Je peignis le diable sur le mur de mon journal, ou bien, comme s’exprimait une personne très spirituelle, je lui fis une bonne réclame. Les communistes, répandus isolément dans tous les pays et privés d’une conscience précise de leurs communes tendances, apprirent par la »Gazette d’Augsbourg« qu’ils existaient réellement, ils surent aussi à cette occasion leur nom véritable, qui était tout à fait inconnu à plus d’un de ces pauvres enfants trouvés de la vieille société. Par la »Gazette d’Augsbourg«, les communes dispersées des communistes reçurent des nouvelles authentiques sur les progrès incessants de leur cause; ils apprirent à leur grand étonnement qu’ils n’étaient pas le moins du monde une faible petite communauté, mais le plus fort de tous les partis; que leur jour, il est vrai, n’était pas encore arrivé, mais qu’une attente tranquille n’est pas une perte de temps pour des hommes à qui appartient l’avenir. Cet aveu, que l’avenir appartient aux communistes, je le fis d’un ton d’appréhension et d’angoisse extrêmes, et hélas! ce n’était nullement un masque! En effet, ce n’est qu’avec horreur et effroi que je pense à l’époque où ces sombres iconoclastes parviendront à la domination: de leurs mains calleuses ils briseront sans merci toutes
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