Sang Royal
Dieu. Ainsi que leur mère. Ma Jane. » À ma grande surprise, son visage s’assombrit. « Elle ne voulait pas que je participe au voyage… » Il tritura fébrilement les boutons de sa robe. « Le voyage dure plus longtemps que prévu et apparemment personne n’a l’air de savoir quand on va quitter York. Je crains d’être accablé de moult réprimandes, à mon retour. Préparées depuis quatre mois. » Il partit d’un rire nerveux. La vision que j’avais eue d’une vie familiale heureuse était peut-être fausse. Je songeai à l’interroger sans ambages sur sa visite à la taverne, puis me ravisai, par peur de le mettre sur ses gardes. Je m’y rendrais avec Barak.
« Bon, dis-je. Le jour tombe. On devrait redescendre tant qu’on y voit encore clair. Merci, Craike, de m’avoir montré le campement. Je pense que je vais aller le visiter.
— Ç’a été avec plaisir », répondit-il en souriant. Puis il me précéda dans la descente.
Je retraversai toute l’église. Dehors, un flot de gens franchissaient une porte latérale de l’enceinte, la porte Saint-Olav, avais-je appris. Comme moi, ils allaient sans doute visiter l’immense campement, mais je n’avais guère envie de me confronter à cette foule de badauds, certains d’entre eux ayant dû être présents à Fulford. Un grand hêtre pourpre, au pied duquel l’herbe était recouverte d’un épais tapis de feuilles rouge sombre, se dressait un peu plus loin. J’allai m’asseoir sur un banc placé contre le tronc. Le soleil se couchait et l’endroit était ombreux. Tout en écoutant le bruissement des feuilles, je regardais les gens passer la porte dans les deux sens.
Je revis la scène de Fulford. Tout l’après-midi, je n’avais cessé de ressasser cette avanie et je m’apprêtais à la ruminer encore et encore. Était-il vrai que mon teint était soudain devenu crayeux ? Avais-je réellement jeté un regard désespéré et implorant à la reine ? Quelle vie pouvait mçner cette jeune épouse avec ce grossier vieillard à la jambe nauséabonde ? Je revis les yeux du roi empreints de la même cruauté que ceux de Radwinter. Voilà donc le roi d’Angleterre l’homme qui, selon Cranmer, avait été choisi par Dieu Lui-même pour garder nos âmes ! Depuis l’enfance nous avions tous appris à considérer le monarque comme un être au-dessus du commun des mortels, et, depuis quelques années, comme une sorte de demi-dieu. Je ne l’avais jamais cru, mais je n’avais pas imaginé non plus que le manteau de la majesté couvrait une telle laideur, tant physique que morale. D’autres s’en étaient forcément aperçus… Ou bien étaient-ils éblouis par l’apparat et le pouvoir ? Comment Giles avait-il réagi à la rencontre ? Giles que le roi avait traité de beau gaillard, par opposition à ma personne… Giles qui aurait pu attendre, me réconforter quelque peu. Je n’aurais jamais pensé que cet homme était du genre à s’éclipser pour éviter de partager la honte d’autrui.
« Ah vous voilà ! Dieu merci. »
C’était Barak.
« Oui, me voici. Je crains d’avoir eu des pensées frisant la trahison.
— N’est-ce pas risqué de sortir seul ?
— Je n’étais pas d’humeur à me préoccuper de ma sécurité. As-tu entendu parler de ce qui s’est passé à Fulford ?
— Oui. Je viens de la résidence, où le dénommé Cowfold en faisait des gorges chaudes.
— Je l’ai quelque peu invectivé, tout à l’heure. J’ai eu tort, sans doute.
— Moi, je lui ai dit que s’il continuait de déverser son fiel je lui taperais la tête contre le mur jusqu’à ce qu’elle ait la consistance d’une pomme cuite. Je crois qu’il a compris…
— Merci », dis-je en souriant enfin. Je notai alors son expression d’anxiété. « Quelque chose ne va pas ?
— En effet. Je vous ai cherché partout dans ce lieu maudit. Maleverer veut nous voir tous les deux. Au Manoir du roi.
— Oh ! » Je recouvrai d’un seul coup mes esprits, ce qui eut pour effet de dissiper sur-le-champ mon apitoiement sur moi-même et mon humeur morose.
« Un représentant du Conseil privé est là. Il veut nous parler des papiers qui ont disparu. Séance tenante. »
19.
UNE FOIS DE PLUS, NOUS NOUS RETROUVÂMES dans le bureau de Maleverer. Deux gardes nous avaient escortés dans le Manoir du roi, où des agents officiels et des serviteurs se déplaçaient dans un silence respectueux. Le roi et la reine devaient
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