Sang Royal

l’église, Grand Dieu ?
    — Quelqu’un a ouvert sa cage.
    — Quoi ?
    — Il m’a poursuivi dans l’église et j’ai glissé. » Mon regard se porta au-delà de Leacon, sur les valets d’écurie occupés à éteindre les dernières flammèches. L’un d’eux croisa mon regard et, tout penaud, détourna la tête. À côté de lui sur la paille calcinée, la carcasse de l’ours fumait.
    D’autres voix se firent entendre. Le tumulte avait apparemment réveillé la moitié du camp. Des serviteurs et des soldats allaient et venaient, contemplaient le cadavre de l’ours.
    « Il a chargé l’avocat bossu, déclara quelqu’un. Vous vous rappelez, celui de Fulford ? » Le regard du sergent passait sans cesse de moi à l’ours, ses sourcils froncés barrant son large et beau visage.
    « Suggérez-vous que quelqu’un aurait fait sortir l’ours exprès ? demanda-t-il.
    — Oui. » Je pris une profonde inspiration. « Quelqu’un savait que j’allais passer par là et m’a guetté. » Mais qui ? Et comment cette personne était-elle au fait de mes déplacements ? »

27.
    LE SERGENT LEACON DONNA L’ORDRE À UN SOLDAT de m’accompagner au manoir. Le soldat expliqua la situation à l’un des gardes en faction devant la porte et l’un des agents officiels me fit entrer dans le bâtiment, m’enjoignant de marcher sans faire de bruit et de parler à demi-mot, car le roi et la reine étaient couchés au premier étage. Un grand calme régnait à l’intérieur et les soldats alignés contre les murs avaient l’air à moitié endormis. Quelques bougies jetaient une lumière pâle sur les splendides tapisseries et le magnifique mobilier.
    Une nouvelle fois je gravis l’escalier. L’agent frappa à la porte du cabinet de travail de Maleverer dont la voix grave cria : « Entrez ! » À mon grand étonnement, sir Richard Rich se trouvait avec lui. Assis tous les deux au bureau, ils étaient penchés sur des titres de propriété foncière. Au moment où, accompagné du soldat, j’entrai dans la pièce, j’eus le temps d’apercevoir le nom de Robert Aske d’Aughton en très gros caractères sur un titre de cession, avant que Maleverer ne s’empresse de rouler le document.
    « Que voulez-vous à cette heure ? aboya-t-il.
    — Il faut que vous sachiez, sir William, qu’on a une nouvelle fois essayé de me tuer.
    — Quoi ? »
    Je lui racontai l’incident de l’ours et les événements survenus dans l’église. Quand j’eus terminé mon récit, Rich émit un petit gloussement.
    « Confrère Shardlake, peut-être qu’en apercevant votre silhouette voûtée dans l’obscurité l’ours vous prit pour une petite oursonne. » Sans me lâcher des yeux, il roulait d’autres actes de cession posés sur le bureau de Maleverer. À l’évidence, il tentait de détourner mon attention pour m’empêcher de voir de quoi il s’agissait.
    « Quelqu’un a ouvert la porte de la cage à dessein.
    Maleverer appela l’agent qui attendait dehors. « Allez quérir le gardien des ours ! ordonna-t-il d’un ton cassant. Faites-le venir ici ! »
    Le soldat salua et s’éloigna. Maleverer posa sur moi un regard appuyé. « J’ai parlé à Goodrich, le cuisinier du campement. Je n’ai pas réussi à déterminer si l’affaire de la broche était un accident qu’il essayait de camoufler ou si quelqu’un avait vraiment agressé le gamin et tenté de vous tuer. Ce dernier incident peut éclairer notre lanterne. Nous allons voir ce que raconte le gardien des ours.
    — Vous n’avez pas d’autres nouvelles à propos des documents manquants ? demanda sir Richard à sir William. Ceux que ce nigaud s’est laissé dérober, précisa-t-il en jetant un coup d’œil vers moi.
    — Aucune. Il y a bien longtemps qu’ils sont passés entre les mains des rebelles…
    — Mais l’un d’eux est resté sur place pour fournir le poison à Broderick et attaquer Shardlake. Ce ne serait peut-être pas une mauvaise idée de caresser Broderick derechef, au château. De le tisonner pour lui faire avouer ce qu’il sait. »
    Maleverer secoua la tête. « Le duc de Suffolk est contre, et le roi est de son avis. Ils ont évoqué la possibilité de faire venir un expert des cachots de la Tour, mais, le temps qu’il arrive à York, on sera déjà sur le chemin du retour si nous repartons par bateau. Ce que j’espère.
    — Si le roi d’Écosse arrive jamais, ajouta sir Rich en faisant une moue