Sang Royal
à un logis individuel. Je remerciai le soldat, qui s’éloigna en direction du manoir, et relevai le rabat de la seule tente, parmi les trois, éclairée de l’intérieur.
Giles était allongé sur un lit de camp placé à même l’herbe. Un verre de bière à la main, Barak était assis sur une caisse, sa béquille à côté de lui et sa jambe blessée reposant sur une autre caisse.
« Quelle belle scène domestique ! commentai-je. Comment allez-vous, tous les deux ?
— Messire Wrenne dort, répondit Barak. Il m’a raconté ce qui s’est passé. Jennet Marlin est-elle réellement morte ?
— Oui. Je viens de passer un moment chez Maleverer. Il a fouillé ses effets à la recherche des documents. En pure perte.
— Elle les a détruits, par conséquent ?
— C’est ce qu’il pense. Comment va ta cheville ?
— Bien. Tant que je ne m’appuie pas dessus. Tammy a été obligée de regagner sa tente.
— Maleverer va la questionner sur Jennet Marlin. Ainsi que les autres dames. Y compris lady Rochford.
— Tammy va être bouleversée, déclara Barak, l’air sombre. Elle avait beaucoup d’affection pour Mlle Marlin. » Il poussa un profond soupir.
« Tu n’as toujours pas de nouvelles de ton ami londonien ? À propos du père de Tamasin ?
— Juste un mot m’indiquant qu’il suit plusieurs pistes.
— Tu l’en as informée ?
— Non. Et si, comme je le crains, les nouvelles ne sont pas bonnes, je ne lui en parlerai pas. »
J’opinai du chef, puis allai jeter un coup d’œil sur Giles, qui semblait dormir d’un profond sommeil.
« Il m’a sauvé la vie, dis-je. Cette aventure l’a complètement ébranlé. Ce genre d’épreuve est au-dessus de ses forces. Nous devons prendre soin de lui.
— Bien sûr… Ainsi, l’histoire est bel et bien terminée.
— Je l’espère.
— Vous n’en êtes pas certain ?
— Non. Quelque chose… Mais je suis fourbu. Il faut que je rentre sous ma tente et que je dorme. Je n’ai pas les idées claires pour le moment. » Je m’esclaffai soudain.
« Quoi donc ?
— Le soldat qui m’a accompagné jusqu’ici m’a indiqué que le roi était en train de jouer aux échecs avec ses gentilshommes. Je songeais que tout ce voyage ressemble à un immense échiquier, avec un vrai roi et une vraie reine qui s’efforcent de déjouer les manœuvres des gens du Nord. »
Il posa sur moi un regard grave, ses yeux étincelant dans la lumière de la bougie. « Un vrai roi ? murmura-t-il. Ou un coucou installé dans le nid royal ?
— De toute façon, nous ne sommes tous les trois que des pions de la plus grande insignifiance et dont on peut aisément se passer. »
35.
NOUS AVANCIONS SUR UNE LONGUE ROUTE. Les écorchures de Genesis n’étant pas encore tout à fait cicatrisées, je montais le cheval qu’on m’avait prêté la veille. Genesis marchait à l’arrière du cortège, avec les chevaux de rechange. À mes côtés, l’air las, Barak chevauchait Sukey. Il avait décidé ce jour-là de monter, malgré l’état de sa cheville. Giles, mal en point et affaibli dès le réveil, ne nous accompagnait pas. J’avais prié qu’on lui permette de voyager dans l’un des chariots afin de lui rendre ses souffrances moins pénibles. Moi aussi, je ressentais les effets des événements de la veille et grelottais, alors que j’étais bien emmitouflé dans mon épais manteau.
L’étape de la journée devait être encore plus longue : cinq milles jusqu’au château de Leconfield, au nord de Hull. Au-delà de Holme, la campagne était moins plate. De basses collines arrondies étaient hérissées d’arbres dont les feuillages jaunes et pourpres rutilaient par cette lumineuse et froide matinée d’automne. Quel joli paysage ! Au loin, vers l’est, s’étirait une enfilade de coteaux et de vallons que quelqu’un désigna sous le nom de Yorkshire Wolds. Tout autour de nous, la cavalcade du cortège produisait un immense vacarme. Derrière, la procession des chariots disparaissait au détour de la route. Devant, les plumets ornant les bonnets des dignitaires ondulaient, tandis que, de chaque côté du cortège, vêtus de leur uniforme aux couleurs éclatantes, les soldats caracolaient au son du cliquetis des harnais. Des messagers couraient sur les bas-côtés dans les deux sens.
Je revoyais constamment Jennet Marlin, la tête fracassée. Sans doute l’état de santé de Giles ce matin-là était-il l’expression de
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