Sang Royal
claquai des doigts. « Ces pavillons m’ont rappelé quelque chose, dis-je, et je viens de me souvenir de quoi il s’agit… Le camp du Drap d’or.
— Quand le roi s’est rendu à Calais pour rencontrer le roi de France ?
— Oui. Voilà vingt ans. Il y a une peinture représentant l’événement au Guildhall. On avait érigé d’énormes pavillons et des tentes géantes tout à fait similaires qu’on avait couverts de draps d’or, d’où le nom. Bien sûr, Lucas Horenbout s’en est inspiré.
— Dans quel dessein ?
— Je l’ignore. Pour célébrer quelque grand événement. Mais peut-être devrions-nous maîtriser notre curiosité et nous contenter d’accomplir notre tâche.
— Revêtir un manteau couleur de muraille…
— Exactement.
— Et lady Rochford est ici. À éviter comme la peste, mordieu ! »
Je posai sur lui un regard grave. « Oui. Elle a fait partie du plus noir complot ourdi par ton ancien maître. »
Barak se dandina, embarrassé. Cinq ans plus tôt, lady Rochford avait été l’une des personnes utilisées par Thomas Cromwell pour discréditer la reine Anne Boleyn en l’accusant d’écarts de conduite. Le témoignage de lady Rochford avait été le plus effroyable. Elle avait accusé George Boleyn, son propre époux, d’avoir eu des relations incestueuses avec sa sœur. J’avais de bons motifs d’être persuadé que les accusations portées contre la reine avaient été fabriquées pour des raisons politiques, comme le devinaient la plupart des gens, d’ailleurs.
« Son nom est devenu indissociable de la notion de traîtrise, poursuivis-je. En outre, elle a été généreusement récompensée pour sa collaboration. On l’a nommée dame de la Chambre privée de Jane Seymour, puis d’Anne de Clèves et aujourd’hui de Catherine Howard.
— Ça n’a pas l’air de la rendre très heureuse, à en juger par sa mine, n’est-ce pas ?
— En effet. Ses éclats de colère semblaient dissimuler un malaise. Reconnaissons qu’il ne doit pas être très drôle de savoir que tout le monde vous déteste. Espérons qu’on n’aura pas le malheur de la croiser de nouveau.
— Mais vous devez rencontrer le roi.
— Il paraît… » Je secouai la tête. « Bizarrement, j’ai du mal à intégrer cette idée.
— Et vous devez vous occuper du prisonnier du château. Vous n’avez pas le choix en la matière.
— Soit. Mais, comme je l’ai déjà dit, j’ai l’intention de poser le moins de questions possible. » Je racontai à Barak ce qui s’était passé au château d’York, lui décrivis la cruauté de Radwinter et la façon dont Broderick s’était jeté sur lui, sans mentionner cependant ce qu’avait dit le geôlier sur la sympathie que je ressentais pour le prisonnier. À la fin de mon récit, Barak avait l’air songeur.
« Rares sont ceux qui savent comment se comporter avec les prisonniers dangereux, les garder et les surveiller. Le comte Cromwell tenait en haute estime ceux qui possèdent cette faculté. » Il posa sur moi un regard grave. « Je pense que vous avez raison. Ne vous liez pas davantage qu’il n’est nécessaire avec l’un ou l’autre. »
Sur ce, il me quitta en me promettant de m’avertir à l’heure du dîner. J’entendis un grincement et un soupir au moment où il s’allongeait sur le lit dans la cabine d’à côté. Je fermai les yeux et ne tardai pas à m’endormir. Je rêvai que mon père m’appelait de l’extérieur d’une voix vive et claire, mais que lorsque je me levai de ma couche pour aller le rejoindre, la porte de la cabine avait été remplacée par une porte aussi épaisse et lourde que celle de la cellule de Broderick, et qu’elle était fermée à clef.
Barak jouissait du don enviable de déterminer avant de s’endormir le moment où il voulait se réveiller, et il lui arrivait rarement de manquer l’heure. Le coup qu’il frappa à ma porte me tira de mes rêves tourmentés. La cabine était sombre et je vis par la fenêtre que le soleil était bas dans le ciel. Je rejoignis Barak dans la salle où se dressaient d’autres personnes, des maîtres clercs ainsi que deux jeunes avocats en robe noire. L’un des deux, un petit homme fluet qui se tenait près du feu pour se réchauffer les mains, intercepta mon regard et me fit un salut.
« Vous venez de vous joindre à nous, monsieur ? me demanda-t-il en nous dévisageant, Barak et moi, de ses grands yeux curieux.
— Oui… Je
Weitere Kostenlose Bücher