Sang Royal
Radwinter se dirigea vers la plaie que j’avais à la tête. « Votre ton caustique a-t-il irrité quelqu’un d’autre ?
— Je vous le répète, vos petits jeux sont malvenus. Allons interroger ce suspect !
— Très bien. » Radwinter empoigna son trousseau de clefs. « Mordieu, je vais lui tirer les vers du nez ! » s’écria-t-il en nous indiquant la sortie d’un geste rageur.
Le cuisinier était assis sur un tabouret dans la salle de garde, entre deux soldats. La tête en forme d’œuf, chauve, comme tous les bons cuisiniers il était gros et gras. L’homme avait cependant quelque chose de dur dans le visage et, comme l’avait indiqué Radwinter, de sournois dans son regard effrayé. Le geôlier se dirigea vers lui et un sourire sinistre sur les lèvres, le regarda droit dans les yeux. Un brasero se trouvait dans la pièce, un tisonnier planté dans le charbon de bois. Radwinter s’en empara vivement et le brandit. Le cuisinier sursauta et eut un haut-le-cœur, au moment où Radwinter lui en montra la pointe chauffée au rouge, dont je sentais la chaleur de l’endroit où je me tenais. Mal à l’aise, les soldats se regardaient. De sa main libre, l’air pensif, Radwinter caressa sa barbiche bien taillée, avant de demander au cuisinier d’un ton doucereux : « Comment t’appelles-tu ?
— D… David Youhill, m’sieu. »
Radwinter opina du chef. « Et tu travaillais pour les moines de Sainte-Marie ? »
Écarquillés de peur, les yeux de Youhill fixèrent le tisonnier. « Oui, m’sieu.
— Regarde-moi en face quand tu me réponds, maraud. Pendant combien de temps ?
— Pendant dix ans, m’sieu. J’étais troisième cuisinier chez les moines.
— Tu étais un larbin d’abbaye, par conséquent. Autrement dit, tu coulais des jours heureux… Ç’a dû te faire un choc quand on t’a jeté sur les routes, à la fermeture de cet antre de papistes.
— On m’a engagé ici, m’sieu.
— Et à présent tu as utilisé ton poste pour empoisonner un homme que le roi veut garder en vie. Tu connais le châtiment encouru par le cuisinier qui tente de tuer en empoisonnant la nourriture qu’il prépare ? Il est bouilli vivant. Par ordre du roi. » Youhill eut un nouveau haut-le-cœur ; il transpirait désormais à grosses gouttes. L’air grave, Radwinter hochait la tête, son regard impitoyable planté dans celui du cuisinier. « Je te garantis que ce doit être une mort douloureuse, bien que je n’aie jamais assisté à un tel châtiment. Jusqu’à présent…
— Mais… mais j’ai rien fait, m’sieu. » Youhill s’effondra soudain, déversant des flots de paroles, ses yeux hagards fixés sur le tisonnier. « Comme d’habitude, j’ai juste préparé pour les gardes le potage aux poireaux avec des ingrédients que j’ai achetés en ville. La nourriture du prisonnier a été prise dans la soupière commune et le reste est toujours dans la cuisine. S’il y avait du poison dedans tout le monde aurait été malade. » Il se tourna vers les soldats. « Giles, Peter, vous pourriez vous porter garants. »
Les gardes hochèrent la tête. « C’est vrai, m’sieu », dit l’un des deux. Radwinter le regarda en fronçant les sourcils.
« Je peux seulement vous dire ce que j’ai vu, m’sieu, reprit le garde. Le cuisinier n’a eu aucune occasion d’ajouter quelque chose dans la nourriture du prisonnier.
— Et c’est vous qui lui avez monté son écuelle et son gobelet, m’sieu, dit Youhill. Comme vous l’avez noté, sa bière a été puisée dans le tonneau commun.
— Qui nettoie son écuelle et son gobelet ? demandai-je.
— C’est moi qui me charge de ça. » Radwinter caressa sa barbe noire, puis abaissa lentement le tisonnier vers le nez du cuisinier. Je décidai que s’il s’approchait trop près de la peau j’interviendrais. Youhill s’agita sur son siège, en poussant de petits miaulements de peur.
« Je ne sais pas comment tu t’y es pris, maître cuisinier, mais personne d’autre n’aurait pu le faire. Je te ferai cracher le morceau, n’aie crainte. Je vous connais, vous, les serviteurs des moines… Vous avez adopté les idées papistes qui infestaient les monastères et quand on vous en a éjectés, vous vous êtes mis à en vouloir à Sa Majesté, et si l’occasion survient de faire le mal, vous la saisissez. À la tour des Lollards on m’a amené des larbins de monastères. La plupart te ressemblent : ils sont
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