Sarah
dire ton avenir en te
regardant bien dans les yeux. D’autant que je les connais par cœur. Reine d’un
bon époux avec de beaux enfants. Je n’y vois que du bon.
Elle rit sans attendre le rire de Saraï.
Ses doigts travaillaient avec une agilité stupéfiante, formant une tresse après
l’autre, tandis que Saraï regardait la nuit approcher par la petite fenêtre.
Songeant : Je vais être ici tous les soirs, à préparer la nourriture pour
mon époux. À me coucher dans le lit pour qu’il devienne père. Dans quelques
jours seulement. Pendant des années et des années. Jusqu’à ce que je sois plus
vieille que Sililli.
Comment cela était-il possible ?
Elle avait beau essayer de l’imaginer, elle
ne parvenait pas à former les images de ces moments-là dans son esprit. Ce
n’était pas seulement que lui manquaient le visage, la silhouette et le corps
de son époux. Elle ne se voyait pas dans ce lit, elle, si menue, sans même
assez de poitrine, comme l’avaient remarqué ses tantes, au côté d’un grand
corps d’homme. Pas seulement au côté.
Elle demanda :
— Sililli, tu crois qu’il va faire
ça ? Chercher tout de suite à me faire avoir des enfants ?
Sililli eut un grognement et lui caressa la
joue. Saraï repoussa sa main.
— Ce n’est pas possible, n’est-ce
pas ? Regarde-moi : je ne suis qu’une enfant ! Comment
pourrais-je en avoir ?
Sililli interrompit son travail. Ses joues
étaient aussi rouges que si elle se tenait devant un feu.
— Ne t’inquiète pas tant. Il ne le
fera pas tout de suite. Si ça se trouve, ce n’est encore qu’un grand dadais.
Vous aurez tout le temps.
Sa voix manquait de conviction. Saraï
connaissait trop bien ses intonations.
— Tu mens, remarqua-t-elle sans
méchanceté.
— Je ne mens pas ! protesta
Sililli. C’est seulement qu’on ne sait jamais exactement comme les choses vont
se passer. Mais un homme serait fou de semer sa graine dans une fille aussi
jeune que toi.
— Sauf si un devin lui conseille de se
dépêcher de faire des enfants.
À ça il n’y avait rien à redire. Elles se
turent jusqu’à ce que Sililli en ait terminé avec sa coiffure.
*
* *
Le lendemain, dès que la lumière fut
suffisante pour que l’on puisse s’activer, la maison s’emplit de bruits. Les
serviteurs achevèrent les préparatifs du premier des sept banquets à venir.
Dans la grande cour centrale, une estrade de bambou avait été construite :
les époux et leurs plus proches parents s’y tiendraient, surplombant le reste
de la cour où les invités seraient répartis, les femmes à gauche, les hommes à
droite. On déploya des nattes, des tapis, des coussins, ainsi que des petits
sièges en osier. On dressa des tables basses sur lesquelles furent savamment
disposés des pétales de fleurs, des branches de myrte et de laurier, ainsi que
des coupes d’eau parfumée à l’orange et au citron. Des dais de jonc furent
tendus entre les terrasses afin que l’espace du festin demeure frais même au
plus chaud du jour.
Les statues des ancêtres de la maison
furent transportées depuis le temple jusque sous une arcade menant à la cour
des hommes et leurs autels précautionneusement reconstitués, embaumant la
nourriture et les parfums. Ichbi Sum-Usur veilla lui-même à la disposition des
plantes rares en pots venues de Magan et Meluhha, ainsi que des chatons en
laisse, des colombes roucoulantes en cage, des serpents dans des paniers qui
furent dispersés çà ou là dans la cour afin de divertir et d’impressionner les
invités.
Enfin, on apporta les mets par dizaines,
les plats de gâteaux et des paniers entiers de pains d’orge ou de blé. Les
jarres de vin et de bière furent ouvertes…
Lorsque le soleil fut au plus haut, Kiddin
vint chercher Saraï. Sililli s’exclama à sa vue. Un ruban finement tissé
retenait ses cheveux aux boucles huilées. Un trait de khôl soulignait le blanc
de ses yeux. À l’exception des glands en fil d’argent, il portait une toge
d’apparat au moins aussi magnifique que celle de son père. Il resplendissait
tel un dieu, si bien que l’on aurait pu le prendre pour l’époux.
Il saisit la main de Saraï et, tandis
qu’ils traversaient la cour des femmes, elle entendit les gloussements excités
des jeunes servantes qui avaient cessé leur travail pour s’ébahir de la beauté
de leur jeune maître.
Kiddin n’abandonna la main de sa sœur que
devant l’estrade, où elle monta s’asseoir
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