Sarah
sur un petit siège sculpté, entourée
de ses tantes.
La vieille Égimé inspecta sa tenue dans les
moindres détails. Mais Sililli avait œuvré à la perfection et elle ne trouva
rien à redire. La coiffure de Saraï était si parfaite qu’elle pouvait passer
pour un diadème tenu par des fibules d’argent, chaque pli de sa tunique était
en place, la ceinture de laine tissée pour l’occasion soulignait la finesse de
sa taille. Pour ce premier banquet, celui de la Présentation, elle ne portait
aucun maquillage, sinon une fine poudre de kaolin qui lui recouvrait le visage,
la rendant aussi blanche qu’une pleine lune. Dans cette simplicité, la délicatesse
de ses traits et sa taille menue la rendaient plus étrange que belle.
De ce moment, Saraï se tint raide sur son
petit siège, le regard droit devant elle, attendant que le soleil atteignît son
zénith et que les premiers invités passent la double porte du palais.
Ils furent plus d’une centaine. La grande
famille d’Ichbi Sum-Usur avait été conviée dans son entier. Certains venaient
d’Éridu, de Larsa et même d’Uruk. Ichbi Sum-Usur avait obtenu du roi Shu-Sin
des sauf-conduits pour qu’ils puissent voyager jusqu’à Ur. Cette grâce était le
plus beau cadeau que le souverain pût faire à son fidèle serviteur. Le père de
Saraï en était rouge de fierté.
Les invités remontèrent l’allée ménagée
entre les tables, les sièges et les coussins, traversèrent la cour jusqu’à
l’estrade. Là, chacun salua Ichbi Sum-Usur et son fils aîné avec quantité de
bonnes paroles et de rires avant de plonger les mains dans une vasque de
bronze. L’eau qu’elle contenait était parfumée d’un mélange de benjoin, d’ambre
et de myrte. Les invités s’en aspergeaient le visage, l’épaule et même
l’aisselle que leur vêtement dénudait, gauche ou droite selon qu’ils étaient
femme ou homme. Ensuite un esclave leur tendait un tissu de lin blanc à bandes
jaunes avec lequel ils s’essuyaient avant de le draper sur leur tunique.
Enfin, les hommes s’écartaient pour aller
s’asseoir devant une table, plus ou moins loin de l’estrade selon leur rang.
Sans un regard, sans la moindre attention pour Saraï. Les femmes, tout au
contraire, passaient chacune devant elle. Elles ne la saluaient pas vraiment.
Elles jaugeaient sa mine et son apparence pour en faire ensuite d’incessants
commentaires.
Ce cérémonial dura deux longues heures.
Lorsque tous furent assis, Ichbi Sum-Usur et Kiddin allèrent faire des
libations et des prières devant l’autel des ancêtres. Après quoi le père de
Saraï revint vers ses invités et, ouvrant les bras, déclara d’une voix forte la
bienvenue à tous et que les dieux du ciel d’Ur réclamaient d’assouvir leur faim
et leur plaisir en l’honneur de la faim et du plaisir que sa fille Saraï
connaîtrait bientôt, en vraie munus.
*
* *
La Terre grande et plate se fit
resplendissante, para son corps dans l’allégresse,
La large Terre orna son corps de métal
précieux et de lapis-lazuli,
S’embellit de diorite, de calcédoine et
de cornaline brillante,
Le Ciel, le dieu sublime, planta ses
genoux sur la large Terre,
Il versa en elle la semence des héros,
des arbres et des roseaux en son sein,
La Terre douce, la vache féconde, fut
toute moite de la riche semence du Ciel,
Dans la joie, la Terre enfanta les
plantes de la vie…
Elles étaient une dizaine de jeunes femmes
à chanter au pied de l’estrade. Un chœur de voix lancinantes et infatigables.
Danseurs virevoltant entre les invités et les tables, musiciens battant
tambours et soufflant dans les flûtes, tous semblaient insensibles à la
chaleur. Pourtant, les dais qui protégeaient les convives de la brûlure du
soleil retenaient aussi l’air de la cour. Pas un souffle ne déplaçait les
puissants relents de parfums et de cuisine. Saraï, incapable de manger, avait
bu autant qu’elle le pouvait. Sur ses joues et son front, la poudre de kaolin
s’alourdissait en absorbant la transpiration et semblait vouloir bientôt
l’asphyxier.
À son côté, comme le reste des invitées,
ses tantes engloutissaient quantité de bière, de vin mielleux et de
nourritures. S’aérant le visage d’un battement d’éventail en osier, elles
pépiaient et s’esclaffaient à gorge déployée. Du côté des hommes il en allait
de même. En vérité, nul ne portait la moindre attention aux chants
ininterrompus dont les paroles semblaient
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