Sarah
attentif.
Elle se passa la main sur le visage pour
ôter la boue de ses joues. Le tissu déchiré de sa tunique laissait voir son
ventre et le fin duvet de son sexe. Elle resserra précipitamment les jambes, se
mit à genoux dans l’eau en se voilant autant qu’elle le pouvait avec le tissu
trempé, puis se redressa enfin.
Le garçon était plus grand qu’elle d’une
tête. Il la regarda faire calmement, sans sourire malgré l’apparence
épouvantable qu’elle devait présenter. Les yeux fixés sur ses tresses, il
demanda :
— Qu’est-ce que tu fais ici ?
Cette fois en bon langage. D’une voix sans
méchanceté, seulement étonnée et curieuse. D’un revers du poignet, Saraï
s’essuya une nouvelle fois la joue et les paupières.
— Et toi ?
Il leva son panier et l’agita. Deux
grenouilles y gonflaient le cou en clignant des yeux. Cette fois elle vit
clairement son visage, étroit et le front haut, aux sourcils très arqués,
presque joints au-dessus d’un grand nez courbe. Dans la dernière lueur du jour,
le marron un peu vert de ses yeux devenait translucide et ses lèvres étaient
belles : grandes, pleines, dessinées comme des ailes. Ses joues étaient
voilées d’un duvet irrégulier. Son menton saillait sur un cou mince. Les os de
ses épaules dessinaient des niches de peau humide.
Il dit :
— Je pêchais.
Il sourit, jeta un coup d’œil au fleuve que
la nuit commençait à rendre immense et ajouta :
— C’est la bonne heure pour les
grenouilles et les écrevisses. Si personne ne vient vous marcher dessus en
hurlant.
Cette fois Saraï en était sûre :
c’était un mar.Tu. Un de ces Amorrites venus des frontières du monde, là
où le soleil disparaissait. Un homme qui ne possédait que des dieux inférieurs
et que jamais l’on n’autorisait à pénétrer dans la ville royale.
Elle trembla, la peau des bras hérissée
sous le froid. Le vent se leva. Il plaqua le tissu mouillé contre son corps.
Sans savoir pourquoi, elle eut envie de dire la vérité. Que ce garçon sache qui
elle était. Alors d’une traite elle déclara, la voix basse et fragile :
— Je m’appelle Saraï. Mon père, Ichbi
Sum-Usur, est un Puissant d’Ur. C’était aujourd’hui qu’un homme devait me
prendre pour épouse. Lui aussi est un Puissant d’Ur. Mais quand il a posé le
regard sur moi, j’ai su que jamais je ne pourrais vivre avec lui, dans le même
lit et la même chambre. J’ai su que je préférerais mourir plutôt que de sentir
ses mains sur moi et son sexe entre mes cuisses. J’ai pensé à me cacher dans
notre maison. Mais ce n’était pas possible. La servante qui s’occupe de moi
connaît toutes mes caches. J’ai voulu me jeter d’un mur et me briser les
jambes. Je n’en ai pas eu le courage. Je me suis enfuie. Maintenant mon père
doit croire que sa fille est morte…
Le garçon l’écoutait en observant tantôt sa
bouche tantôt ses tresses. Lorsqu’elle se tut, d’abord il ne dit rien. Le noir
de la nuit semblait approcher en courant, les transformant en simples
silhouettes sous les étoiles de plus en plus nombreuses.
Finalement, elle entendit sa voix :
— Moi je m’appelle Abram, fils de
Terah. Je suis un mar.Tu. Nos tentes sont à cinq ou six ùs plus
au nord. Il ne faut pas rester ici, tu vas prendre froid.
Elle entendit le bruit de l’eau alors qu’il
faisait un pas vers elle et sursauta. Il tenait sa main. Paume contre paume, il
serrait ses doigts chauds, un peu rêches, autour des siens.
Fermement mais avec une étrange douceur il
l’entraîna. Une douceur qui irisa tout le corps de Saraï, de ses cuisses au
plus loin de sa poitrine.
Cette fois, elle ne put retenir ses larmes
alors qu’il ajoutait :
— Il faut te trouver un endroit sec,
et faire un feu. La nuit est froide en cette saison. Je suppose que tu ne sais
pas où aller. Ce n’est pas tous les jours que les filles des Puissants d’Ur se
perdent dans les joncs au bord du fleuve. Je pourrais te conduire sous la tente
de mon père. Mais il croirait que je lui amène une épouse et mes frères
seraient jaloux. Je ne suis pas l’aîné. Tant pis, on va bien trouver quelque
chose.
*
* *
Le « quelque chose » fut une
simple butte de sable. Mais le sable était chaud et la butte protégeait du
vent.
Abram semblait capable de voir dans
l’obscurité. En peu de temps, il trouva des roseaux secs et des genévriers
morts. À l’aide de lichens et de brindilles de genévrier
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