Sarah
les
mêmes espérances :
— Nous avons entendu parler de toi,
Abram, et de ton dieu invisible qui te protège et te conduit. Là d’où nous
venons, il n’y a que pauvreté, poussière et conflits. Si tu acceptes notre
présence, nous t’obéirons et te suivrons en tout. Nous servirons ton dieu, nous
lui ferons des offrandes comme tu nous l’enseigneras. Tu seras notre père et
nous serons tes fils.
Certains arrivèrent du sud après avoir
traversé les trois déserts qui bordaient l’opulent pays de Canaan. Ils
paraissaient plus riches et moins rustres que ceux du nord et de l’est, mais
n’en désiraient pas moins appartenir au peuple d’Abram.
— Là d’où nous venons, un fleuve
énorme, dont nul ne connaît la source, irrigue une terre d’une grande richesse,
racontaient-ils. Il y règne un roi d’une puissance sans limites qui est aussi
un dieu vivant. Son nom est Pharaon. Il s’assoit au côté d’autres dieux qui,
eux, ont l’apparence à moitié d’homme et à moitié d’oiseau, de félin ou de
bélier. Ses villes et ses palais sont magnifiques, les tombeaux de ses pères
encore plus beaux que ses palais. Mais sa puissance enivre ceux qui le servent.
Chez Pharaon, on tue les hommes comme on écrase les mouches. On ne craint pas
la faim, mais la servitude et l’humiliation.
Abram ne refusait jamais les pâturages de
Canaan aux nouveaux venus. Il bénissait leur arrivée avec autant de plaisir que
Melchisédech l’avait béni lui-même au pied de Salem. D’une tolérance qui
étonnait, il n’obligeait jamais quiconque à croire en son dieu, bien que sa
propre dévotion dans le Dieu unique soit absolue. Partout dans Canaan il Lui
élevait des autels et ne laissait pas passer un jour sans y faire des offrandes
et y crier son nom : Yhwh ! Yhwh ! La seule peine qu’il
connaissait était le silence qui lui répondait. Il n’était pas de jour sans
qu’il espère qu’à nouveau le Dieu Très-Haut, comme il commençait à L’appeler,
l’interpelle et lui ordonne une nouvelle tâche.
Mais Yhwh se taisait. Qu’aurait-Il eu à
dire ? Comme promis, Abram devenait un peuple, une nation et un grand nom.
Et cela sans même que Saraï lui ait donné
un fils ou une fille !
Depuis leur installation sur les terres de
Canaan, nul ne s’étonnait plus de la stérilité de Saraï.
Chacun, hommes et femmes, marcheurs depuis
Harran ou nouveaux venus, était subjugué par la beauté de Saraï.
Une beauté qui semblait être elle-même un
signe si parfait d’abondance qu’elle obligeait à taire jalousie et
concupiscence. De même, on comprenait qu’Abram, profitant de cette beauté comme
un jeune marié, ne semble éprouver aucune tristesse d’être sans descendance.
Tout était bien. Le bonheur et la paix engourdissaient les cœurs et les
esprits. Le bien-être était devenu une nourriture quotidienne pour tous et
chacun. Nulle peine ne venait jamais les tirer de cette sorte d’ivresse. La
beauté de Saraï, son ventre toujours plat, ses joues lisses, sa nuque, ses
seins et ses hanches de jeune fille étaient devenus le signe de la félicité que
leur accordait Yhwh, le dieu d’Abram.
Ils ne se rendirent pas compte avant
longtemps du vrai prodige qu’ils avaient sous les yeux : le temps
n’effleurait plus la beauté de Saraï. Les lunes, les saisons, les années
s’écoulaient. La jeunesse de Saraï semblait être immuable.
Le poids de ce prodige silencieux, après
l’avoir ravie, commençait à terrifier Saraï elle-même.
*
* *
Un jour d’été, comme elle aimait le faire
aux heures les plus chaudes, Saraï se baignait dans le creux d’une rivière. Des
arbres touffus y dressaient une chambre de verdure. Dessous, le courant avait
creusé une vasque profonde dans la roche, formant un bassin naturel où l’eau,
assez profonde pour que l’on y plonge, prenait des teintes vertes et bleues.
Souvent, Saraï se baignait là, nue. Puis, frissonnante, tandis que le soleil et
la chaleur grésillaient sur les frondaisons au-dessus d’elle, elle s’allongeait
sur les roches encore fraîches de la rive, polies par les crues d’hiver et
aussi douce qu’une peau. Le plus souvent, le sommeil lui fermait les paupières.
Cet après-midi-là, un bruit la tira de sa
somnolence. Elle se redressa à demi, songeant à un animal. Ou à une branche
morte tombée d’un arbre. Elle ne vit rien, et le bruit ne se répéta pas.
Elle reposait sa poitrine et sa joue contre
la roche
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