Sarah
Saraï posa son
voile rouge sur sa tête. Elle vit Abram sortir d’un bosquet d’oliviers, sur le
chemin qui menait au Jourdain. Hagar cria et le rejoignit. Abram se mit à
gesticuler drôlement, à la manière d’un enfant excité. Dès qu’ils furent assez
proches, Saraï sut qu’Abram n’était ni blessé ni dans la peine. Il était hors
d’haleine, mais son sourire étincelait dans sa barbe.
— Saraï ! Il m’a parlé !
Yhwh m’a parlé !
Il éclata de rire, exubérant, joyeux comme
un jeune homme. Il claqua dans les mains, tourna sur lui-même.
— Il m’a parlé ! Il m’a
appelé : « Abram ! » Comme à Harran :
« Abram ! » Et moi j’ai dit : « Je suis là, Dieu
Très-Haut. Je suis là ! » Depuis si longtemps que j’attendais !
Si longtemps que j’allais partout dans Canaan, criant Son nom !
Le voilà à nouveau lançant des cris, riant,
les larmes aux yeux, aussi fous que Loth pris de boisson. Il attrapa la taille
d’Hagar et l’entraîna dans un pas de danse, déclenchant le grand rire
voluptueux de la servante. Derrière son voile, Saraï sourit. Ivre de sa joie,
Abram s’enhardit, il quitta les bras d’Hagar, attrapa la main de Saraï, la
taille de Saraï, tournoya avec elle. Deux fois, trois fois, le front tout en
sueur, chantant, virevoltant comme si des flûtes accompagnaient sa farandole.
Hagar toujours riant à pleine gorge. Le voile de Saraï se soulevant comme le
bas de sa tunique, jusqu’à ce qu’Abram trébuche sur une pierre, s’affale de
tout son long, entraînant Saraï.
Hagar l’aida à se relever.
— Ça suffit, dit Saraï, cesse de faire
l’enfant, tu es épuisé.
— Je n’ai pas bu ni mangé depuis hier,
s’amusa Abram en soufflant comme un bœuf.
— Viens t’asseoir. Je vais te donner à
boire.
— Il faut que je te raconte ce qu’il
m’a dit !
— Cela peut attendre que tu aies bu et
mangé. Hagar, apporte des coussins, de l’eau et du vin, s’il te plaît.
Elle alla chercher les pains qu’elle venait
de cuire, des raisins et des grenades cueillis sur la colline d’Hébron. Elle
ordonna encore à Hagar de tendre un dais au-dessus d’Abram, afin de lui faire
de l’ombre. Puis elle s’assit, le regarda manger, souriant sous son voile,
heureuse de le voir dévorer avec entrain.
Quand il fut rassasié, Hagar apporta une
cruche d’eau citronnée et un linge propre. Il s’essuya les mains et le visage.
Saraï dit enfin :
— Je t’écoute.
— Je n’étais pas très loin d’ici.
J’avais même en tête de venir chez toi. Et la voix a été partout. Comme à
Harran. Tout à fait comme à Harran, tu te souviens ?
— De quoi pourrais-je me souvenir,
Abram ? Je n’ai pas vu ton dieu, mais toi qui courais, exalté comme
aujourd’hui.
Une brève déception fronça les sourcils
d’Abram. Il scruta le voile qui lui interdisait de deviner l’expression du
visage de Saraï. Il hocha la tête, effaça sa contrariété et raconta :
— Ça n’a pas été long. Yhwh m’a
dit : « Lève tes yeux, Abram ! Ton regard va du nord au sud, de
l’est à la mer. Tout ce pays que tu vois là, je te le donne en avenir, à toi et
à ta semence. Ta semence est la poussière du monde. Qui peut compter la
poussière du monde pourra compter ta semence. Debout Abram ! Emplis ce
pays, c’est à toi que je le donne ! »
Abram se tut, l’œil brillant. Il poussa un
grand rire. Hagar rit aussi. Mais Saraï ne rit pas. Elle ne bougea pas.
Abram et Hagar se turent, regardant sa
poitrine se gonfler. Puis les mots firent trembler le voile devant sa
bouche :
— La poussière du monde ! Saraï
répéta, plus fort :
— Ta semence, la poussière du
monde !
Abram était déjà debout, devinant la colère
qui venait. Il déclara, comme pour se protéger :
— C’est exactement ce que Yhwh a
dit : « Ta semence est la poussière du monde. »
— Mensonge ! hurla Saraï en se
dressant. Mensonge !
Elle attrapa la cruche d’eau et la lança
contre Abram. De son bras il la détourna. La cruche alla éclater aux pieds
d’Hagar, qui recula à bonne distance. Saraï cria à nouveau, de toutes ses
forces :
— Mensonges !
— Yhwh l’a dit ! cria en retour
Abram.
— Qui le sait sinon toi ? Qui
d’autre l’entend que toi ?
— Ne blasphème pas !
— Ne mens pas ! Ne te moque
surtout pas de moi. Comment feras-tu pour que ta semence devienne cette
poussière ? Toi qui ne parviens même
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