Sarah
empêcha. Il se leva et prit
Loth dans ses bras.
— Je suis heureux que mon frère puisse
vivre sur une terre si riche.
— Quand même, s’écria quelqu’un,
réfléchis, Abram ! Il te prend les meilleures terres, et son troupeau est
le cinquième du tien.
Abram maintint son bras autour des épaules
de Loth et répéta :
— J’ai offert à Loth de choisir. Il a
choisi et tout est bien ainsi.
Le soir, les maisons de Salem et les
innombrables tentes installées autour de la ville bruissaient de la bonté
d’Abram envers son neveu Loth. Jamais encore on n’avait vu quiconque céder avec
tant de bonne humeur sa richesse. Et comme rien ne permettait de considérer
Abram comme faible, sa générosité en devint plus éclatante. Il en devint encore
plus admirable aux yeux de tous.
L’histoire arriva vite aux oreilles
d’Hagar, qui la répéta aussitôt à sa maîtresse. Saraï ne put retenir un
sourire. La bonté d’Abram la touchait elle aussi mais, plus encore :
qu’Abram agisse de manière inattendue, comme autrefois, quand il l’avait
enlevée du temple d’Ur, voilà qui atténuait un peu sa colère.
Le lendemain, Abram, Melchisédech et
quantité d’autres se tenaient sur le bord du chemin pour voir Loth quitter
Salem à la tête de son troupeau et de ceux qui avaient décidé de le suivre.
Saraï apparut. Loth fixa le voile rouge qui la recouvrait comme à l’accoutumée.
On eut cru que ses yeux allaient incendier le tissu, le transpercer. On pensa
que, peut-être, Saraï allait enfin apaiser son tourment et montrer son visage à
son neveu qui l’adorait. Elle s’approcha :
— Je viens te dire au revoir.
Loth se tut. Il hésita. La bouche
douloureuse, les traits ruinés par ses trop nombreuses ivresses, il faisait
peine à voir. Tout autour d’eux, chacun restait suspendu à l’hésitation de
Loth. Saraï attendit qu’il prononce un mot qui lui permît de le prendre dans
ses bras.
Hélas, il ricana, en un rire rauque
d’ivrogne :
— Qui s’adresse à moi de sous ce
voile ? Une servante de Pharaon ?
Saraï recula d’un pas, la poitrine en feu,
les joues brûlantes d’humiliation sous le voile. Une réplique cinglante lui
vint aux lèvres. À cet instant, elle surprit le large sourire du jeune Eliézer
à côté d’Abram. Comme il était heureux, déjà, de la dispute qu’il
pressentait !
Elle se tut, tourna le dos à Loth comme aux
autres avant de disparaître sous sa tente.
Chacun remarqua que la main d’Abram ne
s’était pas levée pour la retenir, pas plus que sa bouche ne s’était ouverte
pour la rappeler.
*
* *
Dans les jours qui suivirent, tandis que
son troupeau se dispersait sur les pâturages bien verts, Abram refit ce qu’il
avait accompli des années plus tôt, avant la famine. En compagnie d’Éliézer, il
arpenta les horizons de Canaan, courant des crêtes aux vallées, d’un autel à
l’autre, pour offrir des sacrifices et crier le nom de Yhwh.
Pendant ce temps, Saraï pria Melchisédech
de lui accorder un chariot et l’aide de quelques hommes pour qu’on installe sa
tente au sud de Salem. Elle y avait découvert une longue vallée couverte de
térébinthes, de lauriers en fleur, bordée de falaises, de pics de roche ocre
d’où cascadaient des ruisseaux toujours frais.
À Melchisédech qui lui demandait si elle ne
voulait pas attendre le retour d’Abram afin de ne pas être seule dans un si
grand espace, elle répondit :
— Seule, je le suis, et depuis
maintenant longtemps, dans le tout petit espace de mon corps. Abram s’occupe de
son dieu. Je suppose que c’est bien. S’il veut me parler, tu lui diras que je
suis dans la plaine d’Hébron. Il saura bien m’y trouver.
Il la trouva moins d’une lune plus tard. Il
arriva en plein midi. Seul, sans Eliézer. Hagar et Saraï l’entendirent avant de
le voir, car il hurlait son nom dans toute la vallée :
— Saraï ! Saraï, où es-tu ?
Saraï !
Elle était en train de cuire des pains
fourrés d’herbes odorantes et de fromage. Hagar gravit une pente pour voir plus
loin :
— Il est peut-être arrivé quelque
chose de grave, s’inquiéta-t-elle.
Saraï scruta les chemins, les bosquets
proches, le bord des ruisseaux qui sinuaient dans les pâturages. Sans rien
voir.
— Saraï ! hurlait toujours la
voix d’Abram.
— Il est peut-être blessé, dit Hagar.
— Va à sa rencontre, ordonna Saraï.
Fie-toi au son de sa voix.
Tandis qu’Hagar s’éloignait,
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