Satan à St Mary le bow
en un accès de dépression morbide. Il lui fallait agir, prendre une part active à ce qui se passait, tout plutôt que de se laisser entraîner dans le tourbillon effréné des regrets et du désespoir.
En quelques heures, Corbett avait obtenu de Ranulf qu’il trouvât deux chevaux et un poney de bât, sur lequel ils entassèrent tout leur bagage, soigneusement attaché. Ranulf était soulagé de partir, de quitter Londres où tant de dangers semblaient le guetter, car il en était arrivé à la conclusion qu’il était moins périlleux d’être un criminel ou un voleur qu’un représentant de la loi. De plus, comme il le clamait fièrement à qui voulait l’entendre, c’était la première fois qu’il voyagerait hors de la capitale. Quant à Swynnerton, trop heureux d’être débarrassé de Corbett qui avait rompu l’harmonie de la vie et la routine qui régnait à la Tour, il s’empressa de fournir au clerc énigmatique tous les documents nécessaires pour quitter la ville et se rendre à Oxford.
Juste à la tombée de la nuit, Corbett et Ranulf prirent congé de la garnison et, passant par la poterne, se mirent en route vers le nord. Corbett savait qu’il leur faudrait loger dans des auberges, mais il était décidé à quitter la ville le plus rapidement possible. Tout d’abord, Ranulf se montra enthousiaste et bavard, mais très vite les répliques sèches et les regards sombres de son maître ainsi que la fascination même du voyage le réduisirent au silence : il se contenta alors de chevaucher un peu en arrière, observant attentivement les environs et essayant de maîtriser le poney de bât qui semblait l’avoir pris en grippe. Depuis leur départ de la Tour, qui se dressait hors du mur d’enceinte de la ville, ils n’avaient eu affaire à aucun représentant officiel de la cité, bien que les routes menant à Londres fussent surveillées par des patrouilles ; finalement ils tombèrent sur une troupe de soldats conduite par un sergent.
C’était ces mêmes soldats de métier, ces durs à cuire que, d’après Swynnerton, le roi avait envoyés dans la capitale, le genre d’hommes avec lesquels Corbett avait servi dans les marches du pays de Galles et au pays de Galles lui-même : ils avaient des traits durs, le teint hâlé et la peau tannée par le soleil et le vent, les cheveux coupés court pour que casques et couvre-chefs tiennent bien. Postés près d’un pont que Corbett devait franchir, ils les entourèrent calmement, Ranulf et lui. Leur chef examina les lettres et laissez-passer de Swynnerton tandis que ses hommes d’escorte jetaient un coup d’oeil aux chevaux et tâtaient avec nonchalance les paquets attachés sur le poney de bât dont le mauvais caractère les forçait à procéder avec les plus grandes précautions.
Après quelques questions, on leur permit de franchir le pont, et ils poursuivirent leur chemin dans l’obscurité grandissante jusqu’à ce que Corbett décidât de s’arrêter à une auberge dont l’enseigne, la lumière accueillante et les repas chauds furent les bienvenus malgré la paille sale du plancher, les tables souillées de bière et l’odeur infecte du suif et de la graisse animale. Là encore, ils trouvèrent un groupe de soldats, stationnés à l’auberge, et durent répondre aux mêmes questions avant qu’on les laisse à leurs bols de soupe fumante et à leurs paillasses de fortune sur un sol infesté de puces.
Leur périple dura quatre jours. Ils se joignaient parfois à d’autres voyageurs : marchands, camelots, colporteurs, quelquefois un homme de loi se rendant au tribunal d’Oxford ou des bandes d’étudiants au verbe haut qui, vêtus de longues toges rapiécées, retournaient à leurs études. Tous, dans la conversation à bâtons rompus qu’ils échangeaient avec Corbett et Ranulf, mentionnaient cette présence militaire accrue sur les routes de Londres.
Ils ne cessaient de s’interroger sur ses raisons d’être, tout en l’approuvant, car, malgré les ordonnances du roi pour tailler les haies, maintenir les routes en bon état et les rendre sûres, les attaques de bandits de grand chemin étaient fréquentes.
Corbett s’efforçait d’éviter toute compagnie, mais Ranulf, de toute évidence, raffolait de ces rencontres, en particulier de celles des dames voyageant en belles litières ouvragées tirées par deux chevaux, et Corbett dut intervenir plus d’une fois pour empêcher que son serviteur, comme il appelait
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