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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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absorbée. Ne m’a pas encore adressé la parole. Je connais. Farfouille à ton aise et quand tu auras fini, nous entamerons gentiment la conversation.
    Je me glisse bien profondément dans le fauteuil et, aussi détendu que si j’étais dans mes meubles, allume une cigarette. Œil foudroyant de la pieuvre en face. Où est-ce que je me crois ! D’une voix suave, je lui demande si des fois il y aurait un endroit où déposer mon allumette. Elle me fait signe, le cendrier. Je lui souris de toutes mes dents. Son regard dardé sur moi. Pourquoi ai-je demandé à voir M. Lehmann ? Voix de vilebrequin. Parce que j’ai besoin de boulot. Ce n’était pas le sens de sa question. Peut-être ai-je la comprenette difficile, excusez-moi. Pourquoi ai-je demandé à voir M. Lehmann en personne ? J’ai envie d’en découdre avec elle. Elle m’inspire. Pourquoi M. Lehmann ? Et pourquoi pas M. Lehmann ?
    Oser, avec cette morgue. Elle n’a pas l’habitude. Les autres doivent se tenir dans leurs petits souliers. Qui est-ce qui m’envoie ? Je l’ai écrit en toutes lettres sur le bout de papier qu’on m’a fait remplir en arrivant. Boulègue, un ami de M. Lehmann et de moi. Nous avons des amis en commun, aussi surprenant que ça paraisse. Passons. Qu’est-ce que je désire ? Du boulot. Elle s’étrangle. Je n’ai tout de même pas eu la prétention de déranger le grand bonze uniquement pour lui demander du travail ? Et si, petite gousse. Comme je vous le dis. Étant le patron, M. Lehmann n’est-il pas tout désigné pour embaucher qui bon lui semble ? M. Lehmann est absent, M. Lehmann est quelque part entre Boston et Philadelphie en tournée d’inspection de ses filiales. Têtu comme un bélier, je rebranche sur Boulègue. À défaut de M. Lehmann, j’aimerais voir M. Perrier qui, paraît-il, est un homme charmant. Sa figure ingrate s’incendie. Elle hausse le ton malgré elle. Je me prends pour qui, on ne dérange pas plus Perrier que Lehmann, cela dit pour ma gouverne. Je croyais. Mon ami Boulègue m’avait dit.
    Ils se connaissent si bien. Prennent des cuites mémorables ensemble. Folle. Elle doit se contenir pour ne pas trépigner. Elle n’a qu’une envie, me foutre à la porte.
    Paisible et souriant, au moment où elle va appuyer sur sa sonnette, je suggère, doucereux, que la question qui m’amène ici ne me semble pas résolue. J’ai besoin de travailler dans les plus brefs délais et mon ami Boulègue m’a formellement promis que M. Lehmann, homme au grand cœur, ne me laisserait pas partir sans au moins une promesse d’avenir. Devrai-je rapporter textuellement notre conversation à cet ami afin qu’il en informe M. Lehmann ? Elle me pique au bout de ses yeux. Me perfore. Le coup a porté. Mon assurance et mon insistance doivent lui être suspectes. Se méfie. Elle est comme tout le monde, elle tient à sa place. Machine arrière. Elle attrape un bloc-notes devant elle. Nom et prénom. Je les lui épelle. Âge, adresse. Mes diplômes. Sourire innocent sur les lèvres, je lui dis d’écrire : néant. Je suis nu dans la vie tel qu’au sortir du ventre maternel. Indice de mépris dans son regard que j’accueille par une petite moue d’impuissance sereine. Pas de diplômes, il faut s’y faire. Mes capacités ? Nombreuses, à coup sûr. Dès mon plus jeune âge, j’ai paru doué à mon entourage. Sans me vanter, j’estime qu’un apprentissage rapide ferait de moi un employé hors classe dans n’importe quelle branche de l’industrie ou du commerce, mais, en dépit de cette faculté d’adaptation assez inouïe en soi, je dois reconnaître que jusque-là on ne m’a jamais confié autre chose que des postes de manœuvre. C’est donc à cet humble échelon que je demande à être incorporé parmi le personnel de la maison. Jugez de la modestie de mes ambitions.
    Déchire net le feuillet du bloc. La boule de papier vole dans la corbeille. Deux coups sur la sonnette. Dans le couloir le vieux a dû recevoir la décharge. Il doit déjà être en route. C’est classé. Elle ouvre un dossier comme si je n’étais même plus là. Je la vois en plongée. L’arête de son nez maigre. Son front bombé, étroit. Ses pommettes dures. Crâne d’oiseau. Les coups timides du vieux à la porte. Il ouvre. Reconduisez. Sans lever le nez de ses paperasses. Le vieux, me trouvant encore assis dans le fauteuil, ne sait quelle contenance prendre. Reste indécis sur le seuil. Ne comprend pas.

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