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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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d’ogre, si je puis me permettre la comparaison.
    Elle se lève pour descendre à la station. Pas un signe, pas un coup d’œil. Maigre, archi-maigre par-derrière. Seules les jambes valaient qu’on s’y attarde. En cale sèche depuis si longtemps, il vaudrait mieux pour moi ne pas reprendre la mer avec un paquet d’os.
    Rien d’autre à baiser dans le compartiment. Je lorgne ma braguette. Ça se voit. Croise mes mains dessus en essayant de penser à autre chose, mais ça ne se dissipe pas. Comme chaque fois que je me trouve dans cette situation, les souvenirs érotiques rappliquent en rangs serrés. Mémento sexuel. Les femmes qui, sous divers prétextes, m’ont branlé ou sucé avec plus ou moins de bonheur et dans les endroits les plus inattendus. Cette petite vicelarde qui ne se sentait réellement au mieux de sa forme que dans les lieux fréquentés, jardins publics, cinémas, métro, cafés, ou encore dans la rue, glissant une main dans ma poche, comme ça, en marchant. Si nous pouvions avoir une vue intime, panoramique, corps et pensées de la société au grand complet. Bordel géant. Se payer un aperçu de ce qui se passe derrière les crânes des bonshommes qui déambulent dans la rue. Analyse spectrale de la sexualité collective. Jeton de première ! Nous dansons la bourrée fantasque sur la pine du mégathérium idiot. Prémices du grand hallali. M’en a tout l’air. La danse de vérité. Danse lubrique. Furibonde. Voluptueuse et meurtrière. Atroce. Expression physique d’une civilisation infestée, croulante, en passe d’accoucher prochainement d’elle-même dans une éblouissante apothéose de colorants chimiques, prête à éclore un de ces prochains matins dans une cornue de laboratoire, mais vivant encore pour l’instant d’une vie intra-utérine, recroquevillée dans le plasma luisant des saxos torturés qui râlent, qui hurlent leur rythme poignant, leur rythme d’aliéné, martèlent interminablement leur rythme écorcheur aux oreilles perforées d’une nuée de couples automates en transe sacrée qui dansent sur place, nuit et jour, vissés l’un dans l’autre, les parties génitales déchiquetées, en lambeaux, mordues par le flux acide de l’océan rouge du sexe. Cet océan sirupeux où il faudrait se jeter tête première, aller voir de quoi au juste sont peuplées ses profondeurs spacieuses et se faire mollusque au milieu des mollusques, coquillage ou crustacé. Mucus. Nager jusqu’au bienheureux engourdissement de soi, jusqu’à l’extinction de toute volonté et de toute raison. Vivre au degré universel sur un tempo d’invertébrés. En admettant qu’il soit possible d’aller se rouler, se saouler au fond d’un sexe de femme. D’aller y mordre le sable épais, s’y emplir la bouche d’âcres saveurs, de saveurs amères, goûter et recracher ce sel marin comme à la minute d’un nouveau baptême sacrilège, et entrer, mort et vivant, dans l’éternité de la vie et de la mort.
    Élohim dit : Faisons l’homme à notre ressemblance. Bon pour le monde des poissons. Ce qui ne doit pas me faire oublier la station.
    Fatalité ou je ne sais quoi, la plupart du temps, avec les femmes, l’occasion se présente quand il y a peu de chances de pouvoir en profiter. Montant l’escalier de sortie, qu’est-ce que je croise – une volée de fraîches jeunes filles dont plusieurs me sourient en passant. Putain de Dieu ! n’aurais pas eu la veine de faire le trajet en si bonne compagnie. L’une d’elles ne se retourne-t-elle pas avant de disparaître dans le couloir, m’expédiant un de ces regards morganatiques qui arrivent droit au but ? Eh ! oui. Une demi-heure de causette, c’était dans le sac. Garce de vie. Mais pour garce qu’elle soit et dût-il pleuvoir des briques, il faudra que je tire mon coup avant le crépuscule.
    Me tiens ce propos à mi-voix en cherchant un café où m’asseoir.
    Mouvement habituel de la rue, c’est-à-dire femme sur femme. Prendre, prendre dans le tas, dans le nombre, au hasard, n’importe laquelle de ces femelles bien nourries, bien vêtues, désinfectées, poncées, cautérisées au-dedans et au-dehors, mousseuses de lingeries fines, empoigner la première qui passe et avec ça refaire de la vie. À volonté. À profusion. Pêle-mêle, étrangers, inconnus, il y a pourtant entre nous la continuité de notre espèce. Mais le plus beau, c’est qu’il est inutile de penser, pas besoin de chercher midi à quatorze heures.

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