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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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elle n’a jamais rien fait de sensationnel, travaillé, élevé des gosses, en tirant chaque mois, de quelle vie rêvait-elle à dix-sept, dix-huit ans ? Autant de questions passionnantes, autant de livres passionnants.
    Combien me faudrait-il de mois pour écrire un bouquin sur cette vieille ? ou sur Boulègue ? Comment bouffer, payer l’hôtel, s’habiller et se chausser pendant ce temps ? Si j’allais soumettre mon projet à un éditeur. Pas une chance sur dix mille. Travaillent pas pour la postérité, eux. Pas si cons. Refilez-leur du croustillant, pas compliqué, un peu de tam-tam, chèque aux maffias, baratin dans le monde, cocktails à la clef, c’est lancé, la came part, on liquide. Je prends néanmoins quelques notes sur cette vieille. Les boucles d’oreilles, ses yeux humides. Ça me servira à quoi ? J’en remplirai dix ou vingt pages sous le coup de l’excitation et puis, subitement, j’aurai la certitude de travailler en pure perte. Je peux toujours essayer de faire une nouvelle. Une fois de plus. Et ma déesse inflammable de tout à l’heure ? Plus là. Remplacée sur la banquette par un monsieur entre deux âges. Dès que Lehmann ou l’autre, comment s’appelle-t-il ? Perrier, dès qu’ils m’auront embauché, il sera temps pour moi de me lâcher sur la volaille. Mettre la main sur une fille qui a une chambre. Évite les faux frais. Au ciné, ça rend assez bien. Ou dans les grands cafés en fin de journée. Me retrouver en face d’un cul bon enfant après ce temps de disette. Plus qu’une station. S’ils sont tels que Boulègue me les a dépeints, ça doit marcher.
    Légèrement interdit devant l’immeuble massif. Building. À première vue, tout le bâtiment leur appartient. Tire machinalement sur ma cravate. Grande porte vitrée. Le portier en uniforme. Ça jette un jus. Où allez-vous ? M. Lehmann. C omme un sourire indulgent qui flotte sur sa figure. Cinquième, porte 116, l’ascenseur au fond, droit devant moi.
    Je ne sais pas ce que je vais trouver derrière la porte 116, mais tout ce déballage ne me dit rien qui vaille. Le gamin en livrée manœuvre à l’ascenseur. Il ferme la grille, pousse sa manette. Beaucoup de sérieux, déjà, dans son boulot. À son âge, j’étais dans une usine de piles électriques. Je n’aurais jamais pensé à liftier. Moins salopant. Son pantalon est trop large aux fesses. Pas encore fait à cet âge. Aurait besoin d’un bol d’air pur. S’égailler dans la campagne, échanger sa cage hydraulique contre les verts espaces. Liftier à quinze ans, ça mène à quoi ? En cage toute sa vie ? Fermer la grille, pousser la manette, ouvrir la grille, fermer la grille. Celui-ci qu’on a habillé comme un petit singe. Pantalon et spencer noirs. À boutons dorés. Le galure rond à jugulaire sur le coin de la tête. Stoppe à l’étage. La grille. Je lui demande le bureau 116 parce que j’ai envie de lui parler, lui souriant. Il me l’indique du doigt, voix polie, ne répond pas à mon sourire, bien dressé le petit macaque. Au quart de poil. Pour la vie. Je n’ai pas fait trois pas que sa mécanique est déjà relancée dans le vide. Parfait, parfait. La relève est prête. Récolte en germe.
    On n’a pas l’air de plaisanter dans le fief Lehmann. Un large couloir en enfilade. La moquette sombre. Des rangées de portes. Numérotées. Sobrement. Où ai-je mis les pattes, grands dieux ! Ma porte à moi. 116. Semblable aux autres. L’uniformité rigoureuse, luxueuse et sévère à la fois. Doit-on ou ne doit-on pas frapper ? Ils prévoient tout minutieusement, sauf le mode d’emploi. Je frappe et j’ouvre. Un autre couloir. Sorte d’antichambre, des sièges disposés çà et là, un cendrier à pied à la droite de chacun d’eux. Silence absolu. Le building narcotique. On trouve sa réplique exacte dans les rêves d’indigestion. Pancarte au mur. Une flèche. Le couloir s’engage loin, tourne à gauche. Un autre tronçon et un vieil employé à une table au fond de ce cul-de-sac. Derrière lui, une seule porte sans numéro.
    J’inscris mon nom sur un carnet à souches. Objet de la visite. Avoir le culot d’écrire : tours de prestidigitation, fluide glacial, philosophie Zen, bandages herniaires, clowneries en tout genre et machine infernale pour faire sauter la baraque, demande à être reçu de toute urgence à cause de la minute imprévisible de l’explosion, l’ambulance est à la porte. Le vieux me prie de

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