Septentrion
Ses yeux m’implorent de me lever. Je me lève. Et la bouffée d’injures me monte d’elle-même à la bouche. Tout y passe, en jet. Gouine, salope, gueule de buse, un geste obscène le bras dressé, je balaie une pile de dossiers qu’elle rattrape à grand-peine, un encrier est parti avec, coule noir sur la vitre du bureau. Elle n’a pas dit un mot, coincée de surprise. Le vieux tremble dans ses frocs quand je passe devant lui. Je lui dis : vieux con. Je claque la porte, fracas du diable dans leur silence conditionné. Furax. Hors de moi. J’envoie valser le plumier, l’encrier, tout le petit matériel du vieil esclave en passant près de son bureau. Un coup de pompes dans les cendriers nickel de l’antichambre. Si j’étais sûr d’avoir le temps avant qu’ils ameutent la maison, je pisserais sur leurs fauteuils. Bande d’empaffés ! Je décanille par l’escalier. Les nerfs en feu. Si quelqu’un se met en travers, alerté par la gousse, je lui décharge mon poing dans la gueule. Se souviendront de ma visite. Fils d’enculés ! Il n’y a personne. La léthargie chez Lehmann. J’aurais bien voulu le voir, cette face de crabe. J’arrive dans le hall. Le portier me regarde passer. Je pousse les portes de verre, à toute volée, à deux battants. Bourriques ! Et cette gougnasse. Doit faire lécher l’encre au vieux à l’heure qu’il est.
Lehmann à Boston ! Au boxon, oui ! À la potence, un pal dans le cul, sur le billot ! M. Lehmann dans le grand palace de Philadelphie. La manucure maison en train de lui sucer la bite. Aux frais des naves qui bossent pour lui. Que j’aille marner pour ses beaux yeux, moi, écrivain ! Au grand jamais ! Foutre non ! J’aime mieux me les couper, en faire des rillettes. Pas un rond, pas un rond, je ne lui gagnerai pas un rond à ce pédé !
Dans l’état où elle m’a mis, la pie maigre. J’aurais dû lui faire voler une paire de beignes. Sa gueule d’épine. Je la revois. Bouche bée sous les insultes. Abasourdie. La tête qu’elle faisait, ses dossiers plein les bras. Le vieux sur la porte, ramollo. Content de moi.
Matinée superbe. Le soleil joue dans le feuillage des arbres le long de la rue.
Sans faire d’extra, j’ai du fric pour tenir le coup encore une quinzaine. Boulègue, le canard boiteux, me prêterait-il quelque chose ? Sûrement. Il y a aussi quatre ou cinq copains que je n’ai pas tapés depuis un bon bout de temps. Ça ne s’annonce pas si mal dans l’immédiat.
Me dirigeant vers le métro, je me décide à aller poser mes fesses à la terrasse d’un café dans un quartier animé. Ce serait stupide de ma part de gâcher en démarches précaires une matinée comme celle-ci. Boire mon jus en regardant passer la foule. J’en profiterai pour lire le journal à l’œil. Avec ce soleil, je me sens l’âme du flâneur. On ne vit qu’une fois !
Presque personne dans le compartiment. Heures creuses de la matinée. Mon regard se porte instinctivement sur une paire de jambes qui pend d’une banquette. La jupe courte s’arrête aux genoux. Fille entre les deux. Brune. Elle bouquine. Je m’installe sur le siège vide en face d’elle. La trique en l’air presque aussitôt. Ce qui démontre que j’en ai bougrement besoin. Vue de près, elle est ordinaire. Maigrelette approchant de la trentaine, mais je ne suis pas en position de chicaner sur la marchandise. N’importe quel cul fera l’affaire. Je n’arrive pas à voir ce qu’elle lit. Ça me servirait d’entrée en matière. Travaillons le sujet. J’avance une jambe, prudemment. Pas de réaction. Ni pour ni contre. Je me glisse légèrement en avant sur mon siège de façon à me retrouver encadrant ses jambes entre les deux miennes. Pression des genoux. Elle abaisse son livre, me regarde bien en face et hausse les épaules comme on a dû lui dire de faire avec les hommes entreprenants dans le métro. Elle a moins de trente ans ou alors elle ne les paraît pas. Je bande cette fois comme un vieil ours, sérieux. Quelques mots sur la lecture en guise d’amorce. Elle se garde de répondre. Prenant un nom d’écrivain qu’elle risque de connaître, du genre scribouilles qui posent leur fiente un peu partout, je brode allègrement, en termes choisis, qu’elle comprenne que je ne suis pas le premier venu. Ce mal que je me donne pour une pimbêche de second ordre, qu’en temps normal je n’aurais même pas gratifiée d’un regard. La faim fait sortir le loup. Une faim
Weitere Kostenlose Bücher