Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
Vom Netzwerk:
m’asseoir sur la banquette qui longe le mur et s’éclipse par la porte. Pas de fenêtre, pas d’aération. Le vieux reste cloué dans cette impasse huit heures par jour. Il n’a pas souvent dû voir le soleil, celui-là. Je deviendrais chèvre, moi, là-dedans. L’ambiance me porte d’ailleurs graduellement sur les nerfs. Trop mécanique pour moi. Ça m’échauffe. Boulègue qui me les décrivait comme des rigolards ! On devine que c’est le sanctuaire de quelque chose ici, S.E. Lehmann siégeant quelque part dans un recoin de cette masse de béton, l’œil à tout, omniprésent, puissance occulte, insidieuse, implacable. Le petit groom de l’ascenseur lui-même, pièce chétive de l’horlogerie, se sent épié comme les autres, menacé par la force invisible qui règne dans l’abstrait, et ça doit les poursuivre encore dans leur vie privée pendant qu’ils se soulagent sur la lunette, la journée finie. J’aurais du mal à m’y faire, voyez-vous.
    J’ignore ce qu’il va advenir de moi, mais je me sens en forme pour un esclandre au premier mot de traviole, au moindre prétexte je leur dis ma façon de penser. Que je me torche de leur palais tentaculaire. Revoici mon vieux. Il m’informe que je dois patienter. On va me recevoir. Il ne dit pas quand. Si c’est aujourd’hui ou aux calendes. Il astique ses lunettes avec son mouchoir. Déplumé. Une couronne de cheveux blancs. Faciès de rave. Il n’a peut-être jamais vu d’autres horizons que ce couloir. Un coup de sonde au deuxième mois, ça lui aurait évité bien des tourments, le pauvre vioque !
    Nous attendons. Lui et moi. Dans le silence. Ne risquent-ils pas d’être tous morts soudain d’embolie, là-bas, de l’autre côté de la porte ? À moins qu’ils ne soient déjà à l’état de momies depuis que Lehmann a monté cette affaire. Ça ferait un drôle d’effet de voir une équipe de squelettes pianoter en cadence sur le clavier des machines à écrire. Un autre répondant au téléphone et son frère de lait compulsant les dossiers. Le vieux est à la limite. Je serais donc le seul bien en chair.
    Presque la demi-heure d’attente. La banquette est dure. Le vieux lit le journal étalé sur sa table. Je me lève, j’arpente le couloir. Je n’ai même pas pris le temps de boire mon jus ce matin. Qu’ils préviennent, j’irai au bistrot et je remonterai à l’heure dite. Le vieux me considère. Croyez que ça va être long ? Il écarte lentement ses deux mains. Signe d’ignorance. Au moins en griller une. Si je veux fumer, il faut que je retourne dans le couloir de l’entrée. Je peux y aller, il me préviendra. Je ne serais pas étonné que le règlement intérieur prévoie également la date et l’heure auxquelles le personnel est autorisé à copuler sans s’attirer les foudres directoriales. Pauvre bourricot relégué au fond de son couloir, ça doit faire des années qu’il marche sous le licol entre les brancards. Tellement abruti de servilité qu’il serait incapable de songer à la ruade quand bien même Lehmann prendrait fantaisie de vouloir l’enculer. Sinistre, leur boîte. Je leur donne encore dix minutes, un quart d’heure, et après je me débine. À quoi sert d’insister, je suis presque sûr que ça ne marchera pas. En sortant, j’achèterai le canard pour les annonces. Il n’y a pas que Lehmann sur terre. Curieux de voir quelle gueule il a. Et l’adjoint Perrier. Une belle paire d’écumeurs. Nous ne mettrons pas longtemps à nous convaincre que nous ne sommes pas faits pour la vie en commun.
    Comme mû par la sonnerie elle-même. Deux coups brefs, impératifs, qui éjectent le vieux de son siège. Un ressort sous le cul ne ferait pas mieux. Veuillez me suivre. Comment donc. Il ouvre la porte sur un nouveau couloir. Il trottine devant moi, voûté par l’âge et les courbettes. La porte au bout. C’est là qu’on m’attend. Le vieux frappe, ouvre sans attendre et me laisse passer.
    Je le prévoyais confusément. Ce n’est pas Lehmann qui reçoit. Lehmann est invisible. La secrétaire fait fonction de tampon.
    Gonzesse sèche, le cheveu court, incisée derrière un bureau monumental. Elle me montre le fauteuil, d’une main autoritaire. Oublie les salutations, cette puante gouine. Affairée. Son temps précieux. Doit mener les affaires rondement. Experte. Ça se voit. Avec moi tu vas trouver un os, gouinasse. Vous me faites tous chier dans votre baraque. Elle manipule des papiers,

Weitere Kostenlose Bücher