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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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de peau prunelée. Si elle vivait avec moi, je sais que je n’aurais jamais fini de désirer cette femme. Nos sangs s’appellent, liés, ensorcelés par un charme obscur. Nous devions nous rencontrer un jour. Appétit physique de sa présence. J’aurais sans cesse besoin de la toucher, de me référer à son corps. Elle est belle comme un arbre. Chargée. Pesante. Racines de ses membres lourds. Conçue pour la fécondation. Je la caresse du plat de la main, la main appuyée à elle, son cou, les épaules, la rosace des seins, ma main roule, circule sur son ventre, je referme les doigts, poignée du sexe fort bourru de poils, je remonte ses hanches, l’arc creux de la taille, j’enfonce mes ongles, elle tressaille, elle se laisse palper, admirer, tenir entre les doigts, force majestueuse au repos. Elle est la forme ovulaire de la vie. Il me paraît absurde de l’imaginer autrement que seule, venue à ma rencontre par des détours embrouillés, avec des haltes de plusieurs années pendant lesquelles il était naturel qu’elle m’oubliât, se remettant toujours en marche dans ma direction, exténuée de me chercher trop longuement – et elle est là, je l’ai prise, et elle sait qu’elle est arrivée. Elle tourne la tête vers moi. Ses yeux sont calmes. Très noirs et très graves. Nous nous regardons de l’intérieur de nous-mêmes. Le soleil tourne dans la chambre. Clarté de poussière jaune pâle, irisée, qui annonce le soir. Nous rapprochons nos lèvres, elle jette sa bouche, l’écrase, comme le doigt sur la détente fracasse d’un coup la cervelle. Nous nous unissons des lèvres sans nous embrasser, nos regards tendus sur la même corde invisible. Je n’ai qu’une envie, lui demander de rester, la retenir. C’est ce que je lui crie en moi avec une force intense, ce que hurlent mes lèvres collées aux siennes, mes yeux posés devant les siens. Reste. Je ne sais pas ce qu’il adviendra de nous, mais reste. Pourtant, et nous le savons, nous sommes déjà résignés. Nous essayons d’arrêter une minute parmi d’autres. Un aspect de cette minute. Ses yeux immobilisés sur moi, son front et quelques cheveux qui retombent seront accompagnés dans le souvenir par le petit cercle de soleil qui brille sur la tapisserie derrière sa tête. La violence qui nous tenait ainsi suspendus se relâche soudainement. Elle comprend comme moi que c’est maintenant qu’a lieu notre séparation et non pas dans une gare quelconque si je l’accompagne demain quand elle partira.
    Je la recouvre de son peignoir. Elle me demande d’aller lui chercher une cigarette.
    Je m’attarde contre le coin de la fenêtre. Le ciel a des reflets mordorés mélangés d’ombre. La pluie a séché sur le toit d’en face. Il doit faire bon dans la rue. Il me semble paradoxal de rentrer à nouveau, sans secousse, dans cet assemblage d’immeubles, de fenêtres et de toits. Solide, tout ça. Durable. Vous attend de pied ferme pour vous démontrer surabondamment qu’il n’est rien arrivé. Je n’ai qu’à ouvrir la porte, franchir le couloir, deux pas, et je me retrouverai dans ma chambre. La vie vous tire en arrière, d’une immuable précision. Je serai gêné tout à l’heure en sortant sous l’œil du patron. Il y a d’interminables histoires d’argent, de vêtements, de souliers, de logement, de dettes, de nourriture. Comment inventer le moyen de passer outre, même pour une femme, quand le monde est pourri de ces histoires-là ? Il faut bien se résoudre cent fois par jour à se reconnaître soi-même au niveau pratique de la vérité encombrée d’un tas de gens pleins de mérite qui luttent courageusement contre eux-mêmes et vous écoutent sans comprendre un mot de ce que vous voulez exprimer. Avoir pu penser à garder cette femme me frappe tout à coup comme la marque d’une folie pitoyable. Debout dans l’encoignure de cette fenêtre, avec le soir qui vient, j’ai l’impression de m’émietter, d’atteindre tout doucement l’extrême acuité de la tristesse, de la désolation, le bout de la solitude. Un vent glacé me balaie. Il y a un oiseau, là-bas, sur le rebord du toit. Les doubles rideaux sentent la vieille poussière. À quoi aurions-nous ressemblé très vite dans ce décor fané ? Qu’aurais-je fait d’elle ? Comment aurions-nous vécu ? Je suis seul. Elle va foutre le camp et nous remettrons le mobilier en place comme après la fête. Je voudrais dormir. Dormir éveillé. Dormir sans

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