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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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sommeil. Sans fin. Dormir. M’abrutir de drogues. Ce n’est là qu’un moment, un bref moment de mon existence, que je finirai naturellement par oublier, comme le reste, dans des mois, ou plus tard.
    Passer à côté des êtres, les manquer, nous ne faisons que ça pendant toute une vie.
    Elle m’appelle. Je retire la cigarette de ma bouche pour la lui tendre. Elle est adossée au montant du lit. Elle a arrangé ses cheveux. Je la regarde. Et son visage m’émeut, m’attendrit. Il me semble que je pourrais rester longtemps loin d’elle, arriver au bord de cet effacement du temps qui voile le souvenir ; en la retrouvant, le même sentiment recommencerait, avec la même emprise, la même véhémence. Ce que j’éprouve devant elle n’a ni nom ni âge. Fait partie de moi et ne s’en ira qu’avec moi. J’aurais envie de me jeter contre elle et de sangloter. Qu’est-ce qui fait que cette femme s’est implantée en moi ? Ma pensée bute obstinément sur un mélange des images de la journée. Devant sa porte. Assise où elle l’est en ce moment.
    M’ouvrant ses bras. Me couchant sur elle. La faim exaspérée de ce corps qui m’est venue comme une explosion de larmes heureuses. Ce besoin irréfléchi de la retenir.
    Le soir s’infiltre par la fenêtre. Nous vivons nos dernières minutes dans l’enclave des sensations fragiles. Pour qu’elles soient brusquement pulvérisées autour de nous, il suffira à présent d’une parole ou d’un geste.
    Elle me demande à quoi je pense. Sa tête inclinée dans une demi-pénombre. Je fais le premier mouvement qui entraînera tous les autres. Le bouton de l’électricité est à droite du lit, comme chez moi. J’approche les mules de ses pieds. Nous ressentons une confusion passagère à nous voir tous les deux debout dans cette chambre. Elle évite volontairement mon regard. Elle cherche du linge dans une valise de toile posée sur une chaise. Deux robes sont pendues dans l’armoire vide. Elle en décroche une. La métamorphose s’est accomplie.
    Nous voici tout de suite réinstallés dans l’espace quotidien des routines familières, le linge, se laver, s’habiller. Les mots eux-mêmes se sont apprivoisés. En poussant la porte du cabinet de toilette, elle me dit qu’elle aura vite fait, ce qu’aurait dit n’importe quelle femme, ce qu’elles m’ont toutes dit en me laissant seul dans la chambre.
    Tout est usé. Archi-usé. Passé entre toutes les mains, entre toutes les lèvres. Salopé. Je vais l’attendre comme j’ai attendu toutes les autres, en fumant, allongé sur le lit. L’eau coule. Combien de fois ai-je entendu ce glougloutement des robinets et la tuyauterie qui grince au départ ? Le robinet qu’elles ferment. Les clapotis à intervalles répétés. De courts silences. Un objet qui tombe sur le carrelage. Le lavabo qu’elles vident et qu’elles remplissent de nouveau. Toujours ce petit leitmotiv sonore en point d’orgue. À la folie tant que vous voudrez, pourvu que ça n’empêche pas de prendre les précautions de rigueur. Elle n’a pas bondi du lit comme la plupart. Peut-être que l’accident lui est égal. Je vois son ombre bouger sur la vitre dépolie de la porte. Viendra-t-elle enfiler ses bas devant moi ou sortira-t-elle tout habillée ? Il se peut qu’elle m’appelle pour l’aider à agrafer son soutien-gorge. Je suis profondément las. Les nerfs cassés. Son parfum traîne, assoupi, sur le traversin. Le drap raccommodé dans un coin. Méticuleux. À petits points. Tant de menue patience devant tant d’usure ! Ça se débine par tous les bouts et chacun rattrape ce qu’il peut. Elle a posé une pendulette de cuir rouge sur la table de nuit. Chambre indifférente, inhabitée. Quelques mouches se tiennent immobiles dans le disque blanc reflété au plafond. Est-ce qu’elles me voient, est-ce qu’elles me regardent ? Ça veut dire quoi tout ça : hommes, femmes, mouches ? La première eau s’écoule dans le tuyau. Comme une cascade éparpillée, le bruit se prolonge en décroissant. Son ombre a disparu de la vitre. Loup, que fais-tu ? Le nombre de couples qui ont dû se rouler sur ce plumard, passer un dimanche ensemble, se parler, se mentir, jurer, promettre, pleurer, s’aimer, rire, être heureux, se séparer entre ces murs. L’hôtel est plus vieux que nous tous. La majorité d’entre eux doivent avoir cassé leur pipe depuis. On devrait signer sur une ardoise. Ou laisser sa photo. Écrire ses

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