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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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quelques secondes durant, attendries, fléchissent. Nous nous pénétrons de ce baiser comme d’une mort voulue. Mes mains descendent ses cheveux, trouvent l’épaule nue, le cou, la nuque. Elle est chaude. Chaude de sang. Je lâche ses lèvres pour aller appuyer ma bouche entrouverte à cette chaleur vivante de l’épaule. Elle me repousse doucement. Se détache de moi en souriant. Devant la glace de l’armoire, elle range ses cheveux d’un mouvement de la main. Je ramasse la clef sur la table, je vais ouvrir la porte, elle prend son sac, vérifie rapidement s’il n’y manque rien avant de sortir, je l’attends, suite de gestes qui semblent acquis entre nous depuis longtemps.
    Brusque collision avec un monde coupé de nous par une longue période de trêve. Le décalage de la rue. Nous marchons comme allongés debout, proches l’un de l’autre. Je sens sa cuisse s’articuler à chaque pas contre la mienne. Nous avons entrecroisé nos doigts. Nous ne parlons pas. Les hommes la regardent, elle, en passant. Elle est coulée dans sa robe collante. Structure du corps que le tissu plaqué rend flexible, assouplie. Je suis très exactement sensible à ce qu’ils ressentent tous comme si ce n’était pas moi qui me trouvais au bras de cette femme. La sensualité qui se dégage d’elle, malgré elle. Modelée pour l’instinct, le plaisir cru. Elle ne peut jamais apparaître autrement que nue. Elle est nue à côté de moi. Nue dans la foule.
    Elle sature de sa nudité le lieu où elle se trouve. C’est cela que tous les hommes captent d’un seul regard. Et nous nous tenons de si près que nous devons avoir l’air de continuer à faire l’amour en marchant, publiquement. Comme une insolence.
    Le premier restaurant qui se présente. Nous allons nous asseoir un peu à l’écart, à une table du fond. Elle est en face de moi. Une fois encore, dans ce petit restaurant, la nappe blanche, les serviettes pliées sur les assiettes, la carte posée droite contre les verres retournés, j’ai la sensation de revivre avec elle un épisode connu.
    En dépit de nos efforts, le silence s’intercale. La lumière teintée saupoudre cette large surface dénudée du décolleté qui cerne ses seins d’un renflement. Sa poitrine est belle. Ses épaules sont belles. Sa peau est belle. La vague de détresse de l’après-midi remue au fond de moi. Pourquoi sommes-nous ici, mangeant comme des automates ? Qu’attendons-nous pour filer ? Nos yeux qui s’attachent par-dessus la table tiennent un langage dix fois plus explicite que tout ce que nous pourrions dire. Après quelques bouchées seulement, je n’ai plus faim. C’est peut-être autre chose que cette nourriture qui me manquait. J’avais peut-être faim d’une faim plus profonde sans le savoir. Depuis le moment où elle a pris mon bras dans la rue, une sorte d’intuition me souffle que c’est une femme comme elle qu’il me faudrait et je saurais trouver les mots pour lui dire cela et rien en dehors de cela n’a lieu d’être dit entre nous. À quoi sert de nous forcer à entretenir le dialogue par convention pure, pas plus que ne sert de goûter aux plats ou de remplir nos verres avec la même apparente insouciance que si nous avions des centaines de soirées semblables devant nous ? Sans doute en va-t-il des mots comme de la faim et que c’est un autre appétit qui nous accapare ? À mesure que le temps s’écoule, la hâte de nous retrouver seuls devient impérieuse. Nous ne pensons qu’à l’envie que nous avons l’un de l’autre. Nous ne sommes plus faits que de cette envie. Elle se solidifie entre nous. Nous nous cherchons comme des insectes désemparés. J’ai envie et besoin d’elle, désespérément. J’ouvre ma main sur la table pour qu’elle y pose la sienne. Je considère longuement nos mains fermées. L’absurdité de cette rencontre, de tout. L’absurde absurdité. M’est-il déjà arrivé de prendre la main d’une femme comme je le fais en ce moment dans un restaurant ? Je ne sais pas, peut-être. Nos deux mains, seules, avec la stricte intensité de ce qu’elles personnifient, là, sur la nappe, à cette minute particulière de ma vie, les graver un jour dans l’espace abstrait d’une page de livre. Je n’ose pas allonger mon bras vers elle, mais elle me devine.
    Ensemble, nous abandonnons nos assiettes à moitié remplies. Nous sommes amarrés à la même pensée. Ne nous lâchant pas des yeux, nous prenons un plaisir

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