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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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m’avoir récemment aperçu de loin au moment où je débaroulais dans le métro, j’ai une sale gueule, qu’est-ce qui ne va pas ? Assieds-toi et buvons un coup, mais d’abord ai-je bouffe ? Il a un reste de patates en salade, du rôti froid et du fromage, le litre est sur un tabouret non loin du chevalet. Je n’ai qu’à me servir pendant qu’il va dans la cuisine chercher assiette et couverts. Si débordant d’amitié soit-il, de quoi aurais-je l’air si je me mettais à lui déballer ce qui me tracasse ? Inexplicable à froid. Je ressens une espèce de répugnance pudique à parler d’elle, même à un ami de sa trempe.
    Il débarrasse un coin de table encombré de papiers où poser mon assiette. Je m’en tiens donc aux emmerdements coutumiers. Il aurait été surprenant que Wierne n’ait pas sous la main un ami de bonne volonté disposé à me placer quelque part en attendant. Dans les automobiles, cette fois. Et on va se dépatouiller pour clouer le bec à mon taulier en épongeant la note, une partie sinon en totalité. Nous irons d’ailleurs téléphoner ensemble à des amis dans un instant. Il faut attendre que les gens soient chez eux. On en profitera pour appeler le type des bagnoles, savoir tout de suite à quoi s’en tenir. Pourquoi ne suis-je pas venu le trouver avant ? Il espère au moins que j’ai employé cette période d’éclipse à écrire. Non, pas une ligne. Alors qu’est-ce que je fous de mes journées ? J’attends que ça passe ? Tout en me découpant une tranche de viande de l’épaisseur de deux doigts, je l’entends me seriner ce qu’il m’a déjà dit et répété sur tous les tons, à savoir que je devrais me visser à ma table et n’en plus déloger jusqu’à ce que j’aie accumule devant moi une pile de copie haute comme ça. Ce n’est pas en bayant aux corneilles que mon bouquin va s’écrire. En premier lieu, assurer la matérielle. Me laisser ballotter comme je le fais trop volontiers n’a jamais été une solution pour personne. N’importe qui de sensé a besoin d’un minimum de tranquillité avant de rien entreprendre. Il connaît mon opinion sur ce point, mais, quoi que j’en pense, il soutient, lui, qu’on peut très bien s’organiser pour mener deux choses de front. Ça ne me tuera pas. Le reste des exhortations se perd, m’échappe. Où est-elle en ce moment ? Pense-t-elle à moi ? Depuis dimanche j’ai tellement pensé à elle, avec une telle force, une telle concentration, qu’il ne se peut pas qu’elle ne l’ait pas senti à distance. La voix de Wierne comme un roulement. Écrire. Rien, rien ne fera que cette femme n’ait pas existé, n’ait pas traversé ma vie. Et ce que j’ai entrevu avec elle est incomparablement plus riche que la plus riche matière du plus éblouissant des chefs-d’œuvre. Un bouquin n’est jamais qu’une suite de déceptions magnifiées. La réussite du ratage. Wierne me parle maintenant de Brandès. La vie de bâtons de chaise en compagnie de cette poule ahurissante qui ne le lâche ni de jour ni de nuit. Elle le dorlote, paraît-il, comme un enfant. Exactement le contraire de ce qu’il fallait à sa nature indolente. Aussi travaille-t-il de moins en moins et son bouquin, déjà en souffrance depuis des années, n’est pas près de paraître.
    Je n’ai pas envie de parler. D’entendre parler. Wierne me porte sur les nerfs malgré sa gentillesse. À cause de sa gentillesse qu’il voudrait réconfortante. Être seul. Je vais rentrer directement. Je n’aurais pas dû venir. Pas la plus petite chance de la revoir jamais , dussé-je hurler à la mort des jours durant. Je veux partir. Angoissé. Je ne sais comment m’y prendre pour m’en aller. Je tournicote. Fais les cent pas. Jusqu’à ce que Wierne, qui ne comprend rien à mon comportement, me laisse sortir sans me poser de questions. Il me tend un peu d’argent qu’il a tiré de la poche de sa veste pendue au portemanteau de l’entrée. Il m’appellera demain au téléphone. L’argent. Le travail. La note. Que doit-il répondre si son ami veut me voir ? Entendu. C’est entendu. J’irai.
    Ponctuel au téléphone à la première heure pour m’apprendre d’une voix attristée qu’après m’avoir quitté la veille, il avait fait le nécessaire, mais que, malheureusement, rien ne va comme il l’escomptait. Il pensait obtenir de l’argent d’un de ses amis qui n’a pas remis les pieds chez lui depuis une semaine. Un autre est en

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