Septentrion
n’en prend pas le chemin. Elles sont là, mes grolles. Là, sur le plancher. Déformées. Le cuir fendillé à la pliure. Le bout qui rebique. Deux gros rats morts. Quand on fait le tour de tout, on se rend compte que c’est finalement le linge qui occasionne le plus d’emmerdements et de loin. Le linge de corps spécialement.
L’heure venue, je mets la barre sur le dancing, au pas de promenade. Ça ne commence pas avant huit heures et demie, neuf heures. J’ai de quoi bouffer un sandwich et boire une bière, calé à l’une de leurs terrasses. Préparez-vous au jeûne, frère convers ! Dans un mois, si je ne suis pas à l’asile de nuit, c’est qu’il faudra me réclamer aux autorités compétentes ou feuilleter attentivement le livre d’entrée des obsèques hebdomadaires.
Penser à ce que je ferai dans un mois me paraît saugrenu au même titre qu’un vieillard cacochyme qui prendrait des résolutions pour les dix années prochaines. En règle générale, ma santé morale s’accommode mal des projets à long terme. Le souci du jour qui se lève, celui du lendemain, au-delà ma vue se brouille. Dans un mois, je coifferai mon plus beau panama et empoignerai ma canne de jonc avant de sortir de l’Astoria Palace, escorté par mes courtisanes ! Tel que je me vois dans la glace du lavabo, j’aurais besoin de passer chez le merlan et sans tarder. Tignasse tropicale. Sur les oreilles. Dans le cou. Les pattes à moitié de la figure.
Pas en beauté, ces temps-ci.
La clarté cuivre du dernier hâle de soleil flotte comme une membrane translucide sur le ciel pur… Douceur émolliente de l’air brûlé. Les rues sentent le goudron, le métal, la pierre chaude. Foule lente sur les trottoirs. Comme atteinte d’une nonchalance bienfaisante. On sent les femmes nues, craquantes de chaleur sous la légèreté des robes qu’un souffle d’air replie entre leurs cuisses. Les feuilles des arbres sont d’un vert glacé. Sans cette cohue de bagnoles qui confine au délire, on pourrait presque se croire en paix. Régal que de se sentir bien d’aplomb sur ses jambes, pressé par rien, flânant devant l’exposition astucieuse des vitrines. Se laisser pénétrer par la tiédeur du soir qui se prépare. Le ciel est splendide. À peine velouté de rose. La ville s’éteint par degrés. Encore remplie de soleil. Pourquoi faut-il que le fric vienne se mettre en travers d’une soirée comme celle-ci ! Une preuve de plus que c’est une invention qui n’a rien à voir avec la nature des choses où nous évoluons par la volonté du Très-Haut, j’en jurerais. Au fait, quel est l’enculé auteur de cette trouvaille, vous savez ça, vous ? Le nom du premier maniaque pris d’une ivresse sadique à compliquer les choses avec son idée de tout transformer en fafiots, espèces sonnantes et trébuchantes. Au début, ils n’ont pas dû y croire, pas vu le danger, sinon il se serait manifestement trouvé quelqu’un de bon sens pour le pendre par les couilles sans autre forme de procès. Sûr que nous pourrions recommencer à zéro après avoir fait un feu de joie avec le stock de biffetons. Soumettre un plan de démonétisation mondiale. Plus de riches, plus de pauvres. Serre-moi la main, c’est un grand jour, on va être frères. Pas qu’en paroles. Comme tout s’éclaire ! L’amour abonde, l’amour déborde ! C’était juste entre nous l’épaisseur d’un portefeuille qui nous braquait. Apparemment, même Doux Jésus qui n’a pas eu cette idée simple. Ç’aurait pourtant été bien de sa compétence, à cet homme. Mieux que les paraboles. Le point glorieux de son Calvaire. Il a cané lui aussi devant. Trop colossal. Il était pris dans le vieux système. Fallait qu’il croûte dans les déserts. Et ses disciples.
Nourrir douze hommes matin et soir, des gars râblés qui ont marché toute une journée sous le soleil, la canicule de Galilée, devait pas falloir leur en promettre en arrivant au bivouac. C’est son excuse, du moins je crois. Sa triste histoire, à quoi ça tient. Pour trente deniers. Sans ce détail, c’était du velours, il serait mort comme vous et moi dans des draps blancs. Peut-être centenaire.
Jouant spirituellement avec la déconfiture de N.S.J.C., ça m’a conduit plan-plan dans le quartier des grands cafés. Sirotent l’apéro. Quelques gonzesses, jambes croisées sous l’angle approprié. Des jetons modestes. Bourgeois tout ça. Rien qu’un filet d’érotisme. Entre gens
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