Septentrion
solitude, ça doit être ça. Elle est arrivée quand il fallait. À la minute idoine. Et j’en suis pour mes frais. Baisé. Noire arabesque voluptueuse des amours violentes. Est repartie à tire-d’aile. Droit au nid. Diluée comme par enchantement dans la profonde opacité. Doit être bien au chaud, pelotonnée peut-être dans un lit conjugal à l’heure qu’il est. Ronflote gentiment, tamisée dans la longue chevelure ébroussaillée sur l’oreiller. Galbe de déesse – j’oubliais ! Des putes, voilà ce qu’il en est. Il faut s’y faire et tâcher de ne jamais perdre de vue le vieil adage empreint d’une séculaire sagesse, selon lequel une poule en vaut une autre et si ce n’est pas celle-là, passe ton chemin, la prochaine fera l’affaire.
Remuant ces considérations générales, je regrimpe marche par marche à mon perchoir d’où le coup de fil de Wierne m’avait délogé en plein sommeil pour venir prendre la communication à la cabine. N’en suis pas plus avancé pour autant bien que parfaitement éveillé. Je ne sais pour quelle raison, tous les hôtels de cette catégorie dégagent comme un relent d’urine chaude, le matin. D’entrée, la journée s’ouvre sur une évocation de tinettes. La vie est là, concise. L’aspirateur zizille déjà bon train dans les couloirs. Je viens de voir la femme de ménage à l’étage au-dessous, à quatre pattes, la pauvresse, le cul en l’air, un bas déchiré, en savates, frottant vivace le long des plinthes, industrieuse, comme si c’était elle qui mangeait la poussière. Quelles réflexions traverseraient les méninges de son mari s’il avait l’occasion de la voir dans cette posture, à genoux au milieu d’un couloir, les fesses tendues sous le tablier, se rangeant de côté pour laisser passer les clients qui sortent, sans manquer de les saluer tous poliment d’un signe de tête ? Zyeutez par ici, cher monsieur, voulez-vous, à ras de terre, ici, voyez, n’est-ce point là votre épouse avec laquelle jadis vous envisageâtes ingénument d’embellir votre existence ? Examinez le cul qui oscille, dodeline dans l’effort. Flux et reflux. Est-ce bien celui-là même qui vous flanquait le vertige il y a de cela à peine quinze ou vingt ans ? Comme le temps passe ! On en rabat à mesure, n’est-il pas vrai ? Il en va du sentiment comme du reste. On se contente d’un peu moins chaque jour. Moins encore le lendemain. Et puis moins que moins. Et puis plus rien. On ferme boutique. On a vécu. Vive la fanfare ! Vous êtes bien bon, vous, elle gagne sa vie, cette brave femme ! C’est ce que je disais.
De même pour les autres. Ça n’arrête pas de débarouler. Qui par l’escalier, qui par l’ascenseur. Lancés tous vers l’ouvrage nourricière. Leurs boulots respectifs d’honnêtes roturiers. Tous mes voisins d’hôtel que je connais de vue, à force. Déjà tous sur le pied de guerre. Lavochés. En cravate. L’air vaseux. Un goût épais sur la langue et des masses de soucis dans la tronche. Comment payer, rembourser, emprunter, tirer le mois, par quel prodige, il en faut tant, bosser n’enrichit guère, c’est prouvé, je suis démuni, je suis à la bourre, ma femme m’engueule, et comment faire ? Tout ça pour avoir le droit de mijoter chambre 28 ou 42 ou 64, ou dix de plus, c’est le même foutoir. Peigne-culs, mes frères, je sollicite à l’avance votre généreuse absolution, mais croyez-moi, rien qu’à vous voir là, en exemple, ce matin, je n’ai plus la force, je me sens lâcheur, en contrebande, ce serait vainement que je recommencerais. Possible que vous vous attabliez encore paisiblement devant votre écuelle pleine le jour où moi je n’aurai que des briques à me mettre sous la dent, je ne discute pas ; possible que vous vous rouliez d’aise dans les gras pâturages quand j’en serai à mendier un os, mais, ainsi ou autrement, je tiens à conserver une claire notion des choses et à ne pas confondre jusqu’au reniement de soi la verroterie avec les diamants bleus du Népal. Si vous voulez, afin de préciser ma pensée, permettez-moi de m’en référer une fois encore à l’Oncle Mikhaïlovitch qui ne sortait pas de l’œuf lorsqu’il s’exprima en ces termes par la bouche du plus misérable et solide avorton jamais conçu de cerveau d’homme : Pouvez-vous supposer que moi, Stepan Verkhovensky, je ne trouverai pas en moi assez de force morale pour prendre ma besace , ma besace de mendiant,
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