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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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mes chérubins. Que, par surcroît, ce monsieur soit un peu fou, cela ne fait aucun doute. Mais vous apprendrez plus tard beaucoup de choses troublantes concernant la folie. Voilà pour ce monsieur, mes petits lapins. Après cela, ai-je besoin d’ajouter que votre papa n’est qu’un attristant spécimen de l’espèce la plus courante des culs qui peuplent en surnombre et sans utilité définie les climats tempérés de notre hémisphère ?
    L’ineffable serait évidemment de pouvoir emprunter une grosse somme en une fois, mais, comme disait Trimalcion l’antique, ça ne se trouve pas sous les sabots d’un cheval. Ce bon Dieu d’argent ! Ne pas manquer d’en toucher un mot dans mon bouquin. La part du fric, c’est la part de l’homme. J’accoucherais là-dessus d’un traité pertinent si je m’en donnais la peine. Le garçon qui virevolte dans mes parages, l’air aigrelet. Voudrait que je le paie et que je les mette. Trouve ma station un peu longuette. Sans renouveler les consommations. Il m’est déjà apparu il y a un quart d’heure, sa lavette au poing, pour soi-disant astiquer ma table. Je ne suis pas petzouille, mon gros mignon, j’ai bien pigé, mais figure-toi que j’en ai encore pour un moment.
    La terrasse s’est garnie peu à peu. Un trio de vieilles et leur barbeau à côté de moi. La conversation roule sur les inconvénients des animaux en appartement. Chiens, chats, oiseaux, tortues. Le vieux est contre, deux vieilles pour, la troisième s’en tape. Elle a apporté ses biscottes avec elle, dans un sac en papier, elle grignote, piano, mâchouillant, évasive. Devant moi, deux gros types débordant de la chaise. N’arrêtent pas de se repasser un dossier depuis qu’ils sont arrivés, je compulse, je prends des notes. À une table plus loin, une femme en compagnie d’un jeune type. Je la vois de dos. Nuque incurvée, d’une minceur fragile, avec quelques bouclettes qui vacillent au brin d’air. Je distingue la bretelle de son soutien-gorge, la bosse du fermoir sous la maille légère du tricot. Glisser ma main sous le tricot et rencontrer la peau, la chaleur, ce corps vivant de femme. Je fixe les mèches folles de sa nuque. Comme de la plume. Comme de la poussière sur ce cou frêle. Ces détails chez une femme me troublent chaque fois profondément. Je saurais mal définir ce qu’ils éveillent en moi. Un goût de pureté. Un goût d’amour. Il m’arrive souvent de ressentir comme une brève décharge émotive à la vue d’un visage de femme qui se penche d’une certaine manière, une façon de baisser les paupières, de sourire, de regarder, de poser une main sur son genou. Il y a dans ces gestes naturels une sorte d’abandon involontaire de la femme qu’on n’approchera jamais. Comme si l’on commençait de la dépouiller du mystère qu’elle représente. Ne bifurque pas trop, troupier. De fil en aiguille, tout à l’heure, tu te retrouveras barbotant des quatre membres dans le chaudron des fées utérines. Et quelle est l’âme charitable qui s’élancera à ton secours ? Pas trace de grognasse pour ce soir, fut-elle borgne et accablée de pertes blanches. Le garçon qui revient m’emmerder. Ça le turlupine, décidément. Sa tronche de pain bénit. Un toupet blond à la cime du crâne, la moustache vermicelle. Il a transpiré sur son col blanc. La journée a été chaude. Doivent avoir les panards en compote au baisser de rideau. Il essaie de se faire entendre, par télépathie visuelle, la moue réprobatrice. M’a l’air buté, ce jeune larbin. Ne prise manifestement pas ma clientèle. C’est réciproque. Il fonce aux ordres en bout de terrasse, des gens qui barrent, qui veulent payer. Si je comprends bien, ils font aussi restaurant dans la maison. Je voyais des gens se planter devant un petit panneau, là-bas, lire un moment et entrer dans la salle. M’amuserait de savoir ce qu’il y a au menu de ce soir. À titre purement indicatif. Consommé froid, c’est la saison. Et quoi encore ? Des filets de soles ? Fonds d’artichauts à la romaine ? Je sentais des odeurs fluides, du beurre grillé, un fumet de sauces, que par réflexe j’attribuais à mes sens abusés. Non point. Ça doit sourdre de quelque part en provenance des cuisines. Le tas de nourritures qui se préparent dans le sous-sol, là, sous mes pieds, si près de moi, cloquantes de beurre, finement hachées, saisies au vif, à petits bouillons, un jet d’épices, passées au four, sous un

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