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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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direct de Brandès. Nous avons dû nous voir la première fois chez le bougnat où Brandès prenait son repas de midi avant l’apparition de miss Worms la toute chatoyante qui devait nous chambrer notre petit Alfred en un tournemain, comme le plus docile des enfants de chœur de la paroisse. La balalaïka nostalgique sanglote sur la vaste steppe désolée. Où êtes-vous, neiges d’antan ?
    Ne pas manquer Sicelli. À l’heure du coup de feu dans son dancing, il devient presque impossible de lui parler longuement. C’est de l’argent qu’il me faut, pas des relations automnales émergeant de la consigne. Un tantinet de mauvais poil en m’approchant de la table. Ça ne me plaît qu’à demi de l’avoir retrouvé. Je sais maintenant ce qui m’a aidé à le situer. C’est son col. Son col de chemise derrière le cou. Graineté de taches ténues, sur la lisière, à hauteur des cheveux, des pois rouge-brun, de la grosseur d’une chiure de puce. Et c’est très certainement de chiures de puce dont il s’agit. Seuls Brandès et lui, à ma connaissance, donnent cette impression de crasse blême, de crasse huileuse, maladive, comme si elle émanait de la peau elle-même. Le teint blafard, quelques poils de barbe noire éparpillés en plaques, une lunule de roseur sur chaque pommette, maquillage funèbre dans tout ce blanc atténué. Il se lève pour me présenter aux deux autres qui soulèvent vaguement leurs fesses en me tendant une main par-dessus la table. Rien compris à leurs noms respectifs. Je retiens seulement au passage que l’un d’eux répond à Marcel. Pour ce que j’en ai à foutre !
    Ils sont tous les trois devant des Ricard. Sensiblement de mon âge, correctement vêtus, l’air avenant. Qu’est-ce que je prends ? Un siècle que je n’ai pas trempé les lèvres dans un apéro. La couleur moirée, consistante, le cube de glace qui flotte dans leurs verres, légère odeur d’anis, j’ai envie d’y goûter. Ricard. N’est-ce pas extraordinaire cette rencontre ? On a passé de bons moments, hein ? Il me tritouille le bras en signe d’amitié. Le nœud de sa cravate comme un bouchon de tissu essoré. Selon qu’il reçoit la lumière sous une inclinaison donnée, on y voit reluire un vernis uniforme qui s’est depuis longtemps amalgamé aux fibres et confondu avec la couleur lie-de-vin d’origine. Nous trinquons. À notre rencontre. Les deux autres n’y voient pas d’objection. Descendent la moitié du verre d’une seule gorgée. Pélissier de même. En les regardant de plus près, il me semble, aux sourires lippus qu’ils m’adressent quand nos yeux se croisent, il me semble que ces deux gaillards-là ont déjà largement dépassé le cap Nord et que le navire va maintenant comme il peut. Ce qui me fait me souvenir que Pélissier pintait raide jadis. Ça non ! Je ne suis pas venu ici perdre mon temps avec des poivrots ! Saoulez-vous la gueule si ça vous chante, mais moi, mon verre fini, salut, bonsoir, je me trisse, non sans faire appel tout d’abord à sa générosité.
    Ça l’a secoué de me revoir, brusquement, au beau milieu de la salle. Il explique aux autres comment nous sommes devenus copains. Leurs verres déjà liquidés. Combien en ont-ils ingurgités avant mon arrivée ? Il ne verra peut-être pas d’inconvénient à m’avancer deux, trois mille francs ? Peut-être plus. Cinq mille. Je demanderai cinq mille, il sera toujours temps de rétrograder. Et les deux autres ? Ce serait la manne. J’ai idée que le dénommé Marcel est juste assez cuit pour sortir le portefeuille au nom de l’amitié. Ils remettent la tournée. Moi exclu. Un verre me suffit. Pélissier passe les gauloises autour de la table. C’est Marcel qui nous tend son briquet allumé, la main vacillante. Son compère, l’épaule calée contre le mur, éprouve de la difficulté à ajuster le bout de sa cigarette à la flamme qu’on lui présente. J’aurais intérêt à ne pas remettre à plus tard le coup de sonde que je me propose de hasarder en vue de la pêche miraculeuse. L’instant est proche où tout effort de conversation suivie sera hors de portée du trio. Déjà Marcel, les yeux plombés, s’enfonce en pente douce vers un début de léthargie. J’y vais franco. Cinq mille ou rien. Cette graine de nabot se sent galvanisée par mon aveu. L’œil vif comme un gardon du jour. Il va douiller. Affaire conclue. Ça ne le gêne pas. Mais il aimerait bien savoir comment il se fait que

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