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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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je sois raide à ce point. Qu’est-ce que je bricole ? Pourquoi ne resterais-je pas avec lui ce soir, nous irions manger ensemble en discutant le coup.
    À quoi bon contrarier le destin ? Le sandwich est déjà loin et je ne suis pas homme à reculer devant un gueuleton qui s’annonce sous le signe de l’abondance. Que m’aurait offert Sicelli ? Une misère. Je le verrai une autre fois. Perdre mon temps au dancing ou avec Pélissier, pas grande différence, si ce n’est qu’avec lui je peux m’en mettre plein la lampe sans débourser un sol.
    Je me trouve donc en quelque sorte sur la tangente ? Où est-ce que j’habite en ce moment ? Question plus qu’épineuse. Je ne veux pas dire par là que je suis sans domicile ? Ça ne saurait tarder. S’il n’habitait pas l’hôtel, sa porte me serait grande ouverte, sans hésitation. Je n’ai pas des amis qui pourraient me rendre ce service, un mois ou deux ? Nous avions de bons copains autrefois. Cerullier, Gaubert, Cusin. Il est dans les assurances à présent, Cusin. Qu’est-ce que je risque à aller leur dire un petit bonjour ? Qui a-t-il rencontré récemment, qui lui a parlé de moi ? Gaubert, justement.
    Réentendre ces noms me fait l’effet d’une exhumation au clair de lune dans la nécropole olympienne.
    Les gens qu’on connaît, qu’on fréquente, et qui s’effacent brusquement comme s’ils passaient à travers le décor. Si j’ai bonne mémoire, Gaubert avait rogné sur ses économies pour éditer à ses frais un petit bouquin de poèmes dont j’ai dû avoir un exemplaire dédicacé à mon nom. Pourrait peut-être faire quelque chose. Le fait est que l’idée ne me serait jamais venue de me rabattre sur ces connaissances d’un temps révolu. Pourquoi pas ?

Gamma

7
    Escale salutaire s’il en fut.
    De quelle façon je leur présentai mon histoire en gros, je n’en ai gardé qu’un vague souvenir, mais ce que je me rappelle, c’est qu’avec ces deux-là, Gaubert et sa femme, j’eus immédiatement la sensation de m’être engagé sur la bonne piste. À quoi cela pouvait-il bien tenir, peut-être simplement à l’atmosphère paisible de la pièce où l’on m’avait d’abord fait entrer en attendant de passer dans le bureau de Gaubert lorsqu’il arriva ce soir-là de son travail et que Simone, sa femme, lui annonça ma visite.
    Je me revois, assis sur l’un des sièges de leur salle à manger recouverts de reps vert, face à une grande fenêtre encadrée de rideaux de voile qui recevaient du dehors, dans leurs plis, une longue traînée de soleil mûr glissant comme une huile limpide jusqu’au parquet blond, vivant d’une chaleur interne, pâte croustillante du bois entretenu. On avait affaire à une cellule étonnamment douillette, protégée par sa propreté lustrale. Les bibelots, quelques petits chevaux de faïence blanche dans des postures diverses, une coupe, un vase, une soupière de porcelaine décorée, sur la cheminée deux grosses lampes anciennes surmontées de leurs boules de verre dépoli, chaque objet était disposé dans un ordre calcule d’où personne ne songerait plus jamais à le déplacer. La tapisserie neuve, jaune paille, illustrée de petits motifs champêtres enrubannés de fleurs tarabiscotées. La table ronde, au milieu, exactement au milieu de la pièce, recouverte d’un tapis en paille de riz, une corbeille de fruits au centre, gros raisins noirs, si ma mémoire est bonne. La desserte longeant un panneau du mur, les ferrures effleurées de biais par la clarté du jour. Décor qui m’aurait tiré les larmes des yeux, habitué que j’étais à la ternissure uniforme des cambuses de meublés, escaliers veules, fonds de couloir, lumière chafouine des cours d’immeubles, pesanteur invisible d’une crasse tenace, d’une crasse profonde dévorant en silence, tant et si bien que sans s’en apercevoir on finit par lui appartenir corps et âme. Moi aussi, si j’avais sérieusement envisagé de me mettre à la recherche d’un travail, avec le minimum de prévoyance j’aurais pu dans quelques années avoir ma salle à manger, le lampadaire, la grosse potiche, un bout de tenture, un bout de famille, une femme à moi que je peloterais dans mes draps blancs, sous Jésus-Christ épinglé au mur, un brin de rameau derrière l’oreille. Le tout payé de mes deniers. Content. Bouffi. Sans idées folles. Qu’est-ce que j’attendais ? N’étais-je pas assez convaincu de la brièveté de notre

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