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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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aurait dit que j’avais le don d’aller pêcher des écrivains dont personne jamais n’avait eu vent, leurs écrits, soit dit en passant, étant habituellement indigestes pour un cerveau de moyenne capacité. Comme cet hurluberlu de l’île Maurice dont je raffolais littéralement à une époque. Affublé d’un nom pas ordinaire. Comment donc, déjà ? Malcolm de Chazal. C’est ça ! Sa Seigneurie ne vivait-elle pas nue sur son île, le front ceint de lauriers et déclamant ses propres œuvres face à la mer, ou quelque chose d’approchant ? D’ailleurs, on n’avait jamais vu un livre de ce prétendu géant, mais il me suffisait de savoir que c’était un excentrique pour l’inclure dans la galerie des Intouchables. Naturellement, ce Chazal faisait encore partie de mes admirations ? Naturellement. En compagnie d’autres flibustiers du genre Elolini, Navel, ou de Karim Zroumbra, le poète syrien, qui, les uns et les autres, n’avaient guère brillé au firmament de la littérature mondiale. Savait-on seulement ce qu’ils étaient devenus ? Dans une assemblée où je prenais la parole, on pouvait se préparer à m’entendre jongler avec des anecdotes que, du reste, je devais inventer aux trois quarts sur des écrivains ou des peintres dont la renommée n’avait jamais franchi le cercle de l’amitié. Tous personnages anormaux, cela allait de soi. Des maudits de tout poil et de tout calibre, lâchés dans l’espace une torche incendiaire à la main, vêtus de façon extravagante, buvant, bâfrant comme des ogres, sacrifiant femme et enfants pour mener une vie abracadabrante en concordance avec leurs visions intérieures, et de préférence dans des lieux aussi mal connus que les Indes ou quelque autre endroit de l’Extrême-Orient d’où ils avaient rapporté, outre la relation de contacts humains avec des trafiquants d’espèce dangereuse, une étonnante élévation de pensée directement puisée aux sources de la traditionnelle sagesse. J’avais vraiment le crâne farci d’histoires à dormir debout !
    Et à présent, voici que j’étais chez lui, ici, dormant sur ce divan, me servant de cette table et sollicitant comme une faveur d’accrocher à portée de mon regard ce tableau sinistre d’un farceur qui gruge le monde. Sacrebleu, peut-on savoir ce qui se produira dans une vie d’homme ! Il était heureux que je me sois adressé à lui pour m’héberger. Comme j’avais pu le constater, son existence avait pris une autre tournure. Quand on a une femme et un enfant, il y a tout un côté de la vie qui bascule dans l’ombre. Certes, il avait eu l’ambition d’écrire, mais, entre nous, en était-il capable ? À tout prendre, il vaut mieux savoir se garer prudemment en temps opportun. Séduisant de prétendre vivre en artiste, mais vient un moment où l’on n’a plus l’âge ou plus le droit de se tromper sur soi-même.
    Pérorant, tout rond, tout court, le ventre en avant, les manches retroussées, cravate desserrée et son gros cul proéminent ajusté dans le fond de culotte. Les pantoufles de drap écossais en contrepoint ajoutant, pour ainsi dire, un piment spécial à la tonalité ambiante.
    Encore un joyeux drille à qui la vie de famille avait rogné les ailes. De quel ton d’amertume contenue avait-il fait allusion à nos merveilleuses, à nos passionnées discussions de jadis, pleines de projets fantasques, pleines de force, de vie, d’insouciance, d’irrespect, de jeunesse, sans retenue, sans mesure, exaltantes, promesses de foi intransigeante et de grandissement de soi ! Pourtant, cela à son idée, n’avait été qu’un éblouissement passager. Finirait certainement un jour par ne même plus se rappeler pourquoi il avait fait imprimer son nom sur la couverture d’un livre.
    La discussion avait d’ailleurs tourné court, suivie d’une espèce de malaise entre nous à la suite de ses dernières paroles.
    Ce besoin qu’il avait eu de justifier devant moi son genre actuel de vie, me laissant entendre que, quelle que pût être mon opinion, j’étais néanmoins bien aise d’en profiter. Ouais. Admettons. N’empêche que, s’il avait apporté tant de sollicitude à m’installer chez lui, c’est que je personnifiais bel et bien la réincarnation de son vieux rêve écroulé. Terre ferme en vue. On se sentait de nouveau tout revigoré. Ma présence, que je sache, n’avait pas d’autre motif. Quelqu’un avec qui on pourrait s’épancher en risquant

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