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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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que je me le rappelais. Bien qu’à plusieurs reprises nous eussions librement bavardé ensemble de tout et de rien, pas une fois le thème n’avait été abordé entre nous. Sous ce rapport, sa vie devait être étonnamment vierge d’aventures. Du genre à tirer son coup à date fixe, nuitamment et sans excès. Le dernier que l’on pût imaginer s’embarquant dans les complications d’une liaison. Trop mouvementé pour lui. J’étais convaincu que si jamais je lui avais posé la question d’homme à homme, il m’aurait objecté avec calme et bon sens qu’il était marié, père de famille, heureux tel quel, alors pourquoi aller chercher ailleurs ce qu’il avait à domicile sans se tracasser ? Quant à la routine journalière, elle ne risquait guère de prédisposer aux galipettes. Réglée au quart de tour. Quittant son travail à six heures et demie le soir, il était de retour moins de trois quarts d’heure après. Lorsque, par hasard, un travail supplémentaire devait le retarder, Simone en était aussitôt avertie par téléphone et venait à son tour me prévenir qu’exceptionnellement nous mangerions un peu plus tard.
    Presque enivrant de songer que j’avais réussi à m’immiscer au sein du cocon. Comme de lamper à petites gorgées la coupe d’hydromel. Souvent après dîner, la chaudière à ras bord, je me laissais volontairement pénétrer, annihiler par le fluide liquoreux de l’atmosphère. D’un œil appesanti je contemplais ce couple devant moi. Gaubert et sa femme, personnages d’époque figés sur l’image fanée de la légende dans la grande salle de repos du château féodal tapi au fond de la forêt murmurante. Simone à son tricot, Gaubert épluchant le journal du soir, et leur fille Nadine, la jeune princesse du sang, dormant du sommeil de l’innocence dans son berceau à colonnes sous la protection de fée Caroline. Si aucun messager du dehors ne galopait dans notre direction avec mission pour lui de nous secouer de notre torpeur, nous risquions de passer tous quatre sans tarder à l’état de fossiles. Heures moutonnantes entre la fin du repas et le moment d’aller se mettre au lit. Aux frontières mordorées de la catalepsie.
    Toujours est-il que le nom de Dali roula dans la conversation, lancé par Gaubert, non sans un léger sourire d’ironie à mon adresse. La résonance de ce nom n’était pas tout à fait inconnue de Simone qui suspendit un instant son ticotis d’aiguilles et tourna la tête vers son mari, s’informant de qui il s’agissait au juste. Salvador Dali. Ce peintre moderne qui avait fait le Christ qui était dans l’entrée. En effet, ce nom lui disait quelque chose. Mais quelle idée le prenait subitement de parler de ce peintre ? Comme, de mon côté, je ne m’empressais pas de mordre à l’hameçon aussi vite qu’il l’eût souhaité, Gaubert, qui entendait poursuivre l’escarmouche, ne put réprimer un air de bonne humeur à la question posée par sa femme. Innocemment, elle venait de lui tendre la perche.
    Bien assis, déployé, il s’étala encore un peu plus lourdement sur sa chaise, l’estomac au large, les joues écarlates sous l’effet de combustion de la nourriture qui, une fois de plus, avait été abondante, puis, après avoir aspiré du bout des lèvres une grosse bouffée au tuyau de sa pipe, il retraça avec complaisance notre discussion de l’après-midi. Je le sentais chercher mon regard que je dérobais intentionnellement, me tenant en silence, assis contre le rebord de la table, les doigts occupés à triturer quelques chiffons de poupée que la gosse avait apportés pour s’amuser.
    Pauvre face de croupion ! Qu’espérait-il de moi avec son Dali ? Que je leur fasse un cours ? Muet, renfrogné, je l’écoutais débobiner ses appréciations nébuleuses sur telle ou telle œuvre picturale de sa connaissance, car, privé de ma contradiction et un peu éberlué par mon attitude, il pataugeait des deux pieds dans un dédale de considérations générales de son cru d’où le Dali de l’origine était étrangement absent. Va toujours, petit bonhomme !…
    Ne pigeait rien à la peinture, le pauvre bougre. Rien et moins que rien. En retard d’un siècle au bas mot. Pour parler de gens comme Klee, Kandinsky, Chirico, Chagall ou d’un peintre aussi célèbre que Picasso, lui-même, il employait le genre de formules rabâchées comme des slogans, traînant de bouche en bouche sans que ceux qui les prononcent aient

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