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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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moment sans se douter qu’on les appelle pour être délivrés. Pestant probablement contre un filet déchiré, soucieux uniquement de ce ciel encombré du matin qui ne leur facilitera pas la tâche qu’ils pensent devoir remplir jour après jour pour assurer leur subsistance qui les laissera pourtant sur leur faim. Dressée sur le rivage, proue vers la terre, la barque fraîchement repeinte paraît leur indiquer le chemin à suivre, qui s’engage à l’encontre des habitudes dont il n’y a rien à attendre que la même misère haïe, la même désolation, le même vide. La barque est prête pour un long voyage circonférentiel qu’elle n’a jamais fait encore sous la main de ces hommes. Voyage clos, sans distance et sans fin, qui les conduirait vers la limpidité des espaces intérieurs, bien au-delà de cette mer étale prisonnière d’une cuvette de collines. Le tout serait d’appareiller au plus vite pour l’inconnu après s’être soi-même oublié, la barre maintenue ferme sur un point sidéral invisible qui est le centre même du vertige de la renonciation. Précipice d’accomplissement où tout se façonne indéfiniment, se lie, se confond, ce qui est assemblé aujourd’hui en ce monde d’ignorance et devra se disjoindre ailleurs, ce qui se cherche aujourd’hui en gémissant et trouvera ailleurs son unité et son repos sous le signe de la réconciliation.
    Ce que j’avais voulu exprimer et rendre sensible, c’était un peu de tout cela qui aurait dû transparaître s’ils avaient su m’écouter. La simple magnificence des purs élans d’inspiration quand l’homme qui crée se sent brusquement comme arraché à sa propre condition, bouté hors de lui-même, porté, survolant les autres d’une seule pensée d’amour, témoin et disciple de Dieu dans sa solitude. Ce que j’avais voulu leur dire aurait pu se résumer par cette phrase : « Hissez le grand mât, mes amis, à quoi bon attendre davantage, prenez le vent d’où qu’il vienne et cinglez droit sur l’ouragan, au plus fort du grain ! Il ne vous arrivera rien, l’œil est ouvert en vous. »
    Mais pourquoi vouloir lancer des invitations à tort et à travers ? C’est uniquement en mon nom que je vous saluais, ce soir-là, vous tous, magiciens de la beauté et du mystère des œuvres vives, que vous vous nommiez Dali ou que votre nom doive rester sans écho. Vous seuls êtes ma patrie d’homme, ma terre d’élection. J’ai oublié les accents de ma langue maternelle pour me conformer à votre langage. Je vous reconnais pour ancêtres à l’exclusion de tous les miens. De vous, je tiens la vie. Non du père que le hasard m’a attribué. Certain que si je dois naître un jour, ce sera du fécondement de vos rencontres au cours des années. Peut-être faudra-t-il soixante ans de votre travail et soixante ans de ma vénération pour qu’il me soit donné de prendre forme à mon tour, mais quel âge un homme a-t-il lorsqu’il s’éveille à la vie ? L’âge de l’immortalité.
    Et dans quel but Gaubert rôda-t-il ensuite longtemps derrière ma porte sans se décider à frapper ? Je l’entendais aller et venir dans son bureau, contigu au couloir où je couchais. Il devait apercevoir la lumière sous l’interstice de ma porte. Attendre que je l’appelle. Je n’avais qu’un mot à dire pour qu’il accoure et que nous reprenions seul à seul la discussion, dans un registre différent cette fois, je l’aurais parié.
    Lorsque je remue ces souvenirs et qu’il me semble vraiment réentendre le pas de cet homme qui me faisait signe, cette nuit-là, de l’autre côté de la cloison, je ne comprends pas pourquoi je ne lui ai pas crié d’entrer. Pourquoi je ne l’ai pas convié à venir vider son sac puisque c’était ce qu’il espérait de moi. Non que cette séance qui n’eut pas lieu eût été susceptible de m’apprendre grand-chose, mais il n’est pas dans ma nature de tirer les verrous au nez des autres.
    Exception à la règle, Gaubert resta de son côté et moi du mien. Je me souviens même avoir éteint ma lumière avec une arrière-pensée de représailles. M’avaient par trop cassé les pieds, lui et sa femme ! Le fait de m’héberger et de me nourrir depuis des semaines ne justifiait pas que je doive mettre la sourdine en toute circonstance. Avait-on jamais vu pareille péronnelle jacassante ?
    Moins que rassuré du tour que risquaient de prendre les événements à mon apparition dans la

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