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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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ton de la confidence, d’un air entendu, entre hommes , quoi ! n’importe quelle invention au sujet d’une femme jusque-là inabordable qui avait soudain consenti à passer la soirée avec moi, le mari étant en voyage pour quarante-huit heures. Chance inespérée de le lui foutre, à cette bon Dieu de femelle, de voir enfin comment elle se servait de ce bijou dont elle faisait si grand cas, la garce, depuis le temps qu’elle louvoyait ! Franchement, vous savez ce que c’est, ça me ferait mal de manquer le coche uniquement pour une mesquine question d’argent ; si vous pouviez me dépanner, je vous revaudrai ça. Je vous tiendrai au courant dès demain, mais surtout pas un mot autour de vous : c’est une femme mariée que nous connaissons ! Ce genre d’histoire rendait assez bien dans l’ensemble. Mieux que si j’avais invoqué les pires catastrophes.
    Sorti de là, il ne restait plus que le coup de filet hasardeux sur des types que je connaissais à peine. Roger, le garçon de café, en bas de mon hôtel. À condition de lui parler femmes, à lui aussi. De lui détailler l’objet dans tous ses méandres intimes sans hésiter sur les termes et les précisions complémentaires. Ce qui le captivait dans le tableau, c’étaient les lointains. La perspective. Les nuances. Pour lui, une femme commençait à prendre consistance au moment où elle vous suppliait de lui faire n’importe quoi, pourvu que ça cogne de bons coups au fond du ventre, que ça la fasse gueuler, hurlant à la mort, lui coupe le souffle, les jambes en l’air, le truc lippu, le clitoris gros comme une noisette. Entre deux plateaux à servir dans la salle, il revenait écouter la suite, le bout de la langue sortie sur sa lèvre inférieure, son pauvre crâne tout chauve incliné au-dessus de moi, le torchon maculé sur l’épaule, approuvant de la tête, en connaisseur, les plus invraisemblables trouvailles qui me venaient au fur et à mesure que je tissais les fils de mon histoire généralement imaginaire de bout en bout. Je ne sais pourquoi, son allure de bon travailleur me mettait en verve. Je partais à fond, rocambolesque, débitant à voix basse trente bonnes minutes de saloperies, m’amusant comme un petit fou, pris à mon propre jeu. À la fin, il se redressait, se mouchait, jetait un regard terne, un regard las sur les consommateurs.
    — Je me demande où vous les ramassez, sacré bonsoir ! Les femmes sont drôlement salopes, hein ? Il faudrait quand même bien que vous veniez me prendre ici un de ces soirs après mon boulot. On pourrait sortir ensemble…
    Il était mûr pour se laisser taper d’une somme modique et prendre à son compte ma consommation, le sandwich et le paquet de cigarettes. Pendant qu’il sortait son portefeuille de la poche arrière de son pantalon, un vieux portefeuille noir, coupé, racorni, il avait chaque fois un mot d’explication en ce qui concernait sa femme, comme pour se rendre justice à l’avance.
    — C’est pas la mauvaise femme, notez bien. Elle est sérieuse, économe. Elle est pas emmerdante pour un sou. On s’entend bien, ça va. Mais moi, j’ai besoin de tirer mon coup tous les jours, c’est la nature. Et elle, ça ne lui dit rien. En rentrant chez moi, je me demande ce qu’elle aura encore trouvé pour ne pas y passer. Un jour, c’est la fatigue, un autre jour, elle a mal au ventre ou elle a sommeil ou alors il faut qu’elle fasse un brin de lessive avant de se coucher. Après ça, c’est les règles et tout le bataclan. Ou bien elle dit que je lui fais mal. La vérité, c’est que ça ne lui dit rien. Elle jouit pas ! Qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ! Elle jouit pas ! Merde, c’est pas marrant ! J’aurais bien tort de me priver si l’occasion se présente. Mille, ça peut aller ? Vous me rembourserez quand vous pourrez, vous en faites pas pour ça, mais venez donc me prendre un de ces soirs, ça me ferait plaisir…

2
    Étrange. Étrange tout ceci lorsque j’y repensais point par point, clarifiant les souvenirs lointains ou récents, dans le calme de ma chambre d’hôtel le jour où je n’étais pas allé à mon travail parce que ça ne me disait rien, cherchant comment assurer mes arrières pour le cas où je cesserais complètement de travailler à l’usine, consacrant mon temps à ce livre qui ne prenait toujours pas forme, auquel je n’osais pas m’attaquer de front.
    Te mettre devant le papier. Résolument. Ne pas dételer, même

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