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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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en transparence. Pas la simple rédaction d’un écrit ordinaire, mais la fusion de la vie dans la vie. Comme la vie elle-même sait le faire. Cacophonie humorale. Les lampions s’allumaient sur les deux rives du fleuve Jaune. Et rien ne m’empêchait, si je le voulais, de provoquer en même temps un embrasement général de Baltimore.
    Comment expliquer ce qui se passe dans le coffre pendant ces brusques poussées de déflagration qui règlent les battements de vos artères sur les pulsations secrètes du monde ? Sensation de devenir pour tout de bon le centre hyper-réceptif de l’univers en gestation. La pensée quitte avec éclat le siège de la captivité. Résout, comprend, élucide au micropoil. Les équations mathématiques les plus ardues, si elles lui étaient proposées, se trouveraient résolues comme de vulgaires additions de deux chiffres. Le mystère se déchirait autour de moi. J’émergeais de ma glaise. Mes ailes récurées, j’allais prendre mon vol triomphal. Bien que mon apparence d’homme n’ait pas changé et que personne ne fût capable de me distinguer dans la foule. Cette foule d’êtres en déplacement s’était résorbée sous son plus faible volume, de la grosseur d’une noix, disons, afin de s’agglomérer sans histoire à mes propres cellules, circuler dans mon réseau sanguin avec la même force nutritive qu’une injection de liquide vitaminé. La foule, c’était moi. Contenant de toute forme vivante. De là à m’annexer Dieu par la même occasion, il n’y avait qu’un pas. J’étais donc le réceptacle de Dieu. Et puis Dieu lui-même. Et puis l’Esprit de Dieu. Et puis plus rien que l’Esprit. Légère volute de fumée bleue qui paresse, indécise, au-dessus des toits de la ville. Ne faisais qu’un avec l’éther. Ce qui restait en moi de plastique devenait sphérique. Comme les astres. Comme l’orbite invisible de la roue. Comme le serpent et la carcasse de la destinée. On n’entendrait désormais ma voix que par l’intermédiaire du souffle de l’animation. Je veillerais à l’onction du baptême. Qu’il soit d’eau ou de feu. Et si je devais revenir parmi vous un jour, je me présenterais aux portes de la ville monté sur un âne robuste et paisible. Pour recommencer, mais cette fois victorieusement, le combat des marais contre l’hydre.
    Pourtant, à peine de retour dans l’enclos familial, je savais que ma soirée serait foutue. Celle-là comme toutes les autres. L’éruption créatrice qui m’avait envahi dans la journée finirait en feu de paille. Un vide lourd la remplaçant brusquement. Plus trace d’un élan. L’âme comme asséchée. Je sentais chaque fois monter le dégoût, la tristesse d’une impuissance que je n’étais pas de taille à maîtriser. Toujours le vieux fantôme du ratage qui rôdait dans l’ombre, menaçant.
    Pourquoi à cette époque ne parvenais-je pas à me tirer de cette torpeur intérieure qui agit sur l’esprit à la façon d’un anesthésiant ? Des années durant que je menais la lutte, frôlant le fond de quelque chose qui devait ressembler aux dernières secondes de résistance avant l’agonie. Entre la volonté de vivre et l’obligation de mourir. Chute pleine d’abandon. Un trait sur l’ambition de s’exprimer. Renoncer. Se reconnaître pour nul et tâcher ainsi de vivre en paix si on le peut. Ce que vous désireriez se situe tellement au-delà de ce que peuvent imaginer même ceux qui seraient tout disposés à vous encourager. Personne ne vous accompagnera jusqu’à ces hauteurs déroutantes où ne règne qu’une solitude transie. Qu’étais-je de plus que les autres ? La somme inexprimable de ténacité cruelle, impitoyable envers soi, qu’implique ce tour de force de devenir créateur. Après tout, écrire n’est rien d’autre que s’avouer malheureux. Il serait si commode de ne jamais ruer dans les brancards.
    Lorsque je me noyais dans ce genre d’élucubrations intimes, j’aurais aimé savoir si les hommes dont j’admirais le talent, peintres ou écrivains, avaient subi les mêmes à-coups de dépression. L’œuvre achevée, tout a l’air si judicieusement en place, mesuré, prémédité, aisé et naturel. Mais pendant la durée du travail ? Et avant de mettre la main à la pâte ? S’étaient-ils parfois sentis dégringoler sans rémission vers l’abîme qui risquait de les ensevelir à jamais ?
    Avaient-ils éprouvé ce sentiment d’être condamnés à faire de

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