Septentrion
J’avais compris de bonne heure, moi, mézigue, les froids calculs du genre humain. La vie m’avait dressé à l’aube de mon premier soleil. Planque tes arpions et ce sera déjà une manche de gagnée. Le plus dur est de faire le saut. De s’insérer à nouveau chaque matin dans le tumulte. Autrement dit, de renoncer à soi. Ce qui est l’affaire de quelques minutes ou de toute une existence. Ce passage franchi, c’est ensuite la simplicité même. Fétu sans importance, la masse en érosion est là pour vous porter au gré des vents contradictoires. Jetons-nous solennellement dans la mêlée. Vous ou moi, c’est tout comme. Je suis, comme vous, d’essence divine. Petite forme vagissante tombée par inadvertance de la main du Très-Haut. Ni vous ni moi ne sommes indispensables en ce monde gorgé de splendeurs naturelles, de nourritures en boîtes stérilisées, de femmes appétissantes qui ne demandent qu’à se laisser enfiler pourvu qu’on procède avec le tact et la discrétion voulus. En parlant philosophie, par exemple . Bon pied bon œil, ce monde est paré pour des lustres. Les réserves sont pleines. Tout a déjà été fait et refait. Dit et redit. Avant même que nous soulevions pour la première fois les paupières. À quoi bon s’échiner jusqu’au sang ? Pouvez rentrer dans la coquille. Tout est tranquille. Le glas ne sonnera pas. C’est aujourd’hui comme hier le Nouvel An d’Apocalypse, mais sans doute ne se passera-t-il rien de bien essentiel. Ni pour vous ni pour moi. Journée creuse et plans sur la comète.
De mon côté, rien à signaler sinon que j’examine à la loupe les circonstances qu’il a fallu ajouter les unes aux autres en plus de trente années de vie pour obtenir une entité qui porte maintenant mon nom, a mes manies, mes plaisirs, mes colères, mes vices, pense selon des normes qui lui sont particulières et la distinguent entre toutes. Si la girouette vient à tourner, il se peut qu’on me retrouve à la chasse à l’éléphant, béat comme un nouveau-né, m’octroyant en temps voulu de longues siestes agrémentées d’érections involontaires suivies, au réveil, d’une collation froide avec assortiment de grands crus d’origine. Ne négligeant rien non plus sous le rapport du baisoir, de jour comme de nuit, délibérément. Un souffle imprévu, et je rejoins les écrivains qui ont partie liée avec le Verbe à l’état pur, apôtres du vide repensé, conscients ou fous, folie consciente, conscience tragique de la folie en mouvement. Aveugles de la pleine lumière. Marchant à rebours de la foule sur l’avenue transversale au moyen du sixième sens, à la rencontre des perspectives interdites. Esprit incarné de la trinité des eaux, j’accumule çà et là. Moisson d’idées stupéfiantes. J’engrange pour dix siècles au moins. Matière à quantité de volumes. Micromacrocosmogonie. Jeux de mosaïques sous le soleil. Nombre cabalistique de l’être. Je m’assimile l’ordre magique du monde vivant pour le recomposer enrichi d’une goutte de sécrétion personnelle. Transfusion magnétique nutritive par le truchement du tube ombilical occulte branché sur la valve fémorale de l’univers en gestation. Toute page écrite me rapproche de l’élucidation de mon mystère. C’est dire qu’elle contribue à en épaissir la densité. Je deviens peu à peu le catalyseur de quelques manifestations vitales. Comme le nœud principal de la ligature. Un jour je disposerai peut-être des quatre clefs et de leur pouvoir, templier du milieu impérissable voué à coaguler la solution de ce monde déposé en moi par privilège céleste.
Quoi encore ? Souvent repris par l’envie de fouiller dans ce vieux tas de papiers que je traîne avec moi depuis des années. Carnets d’adresses et de noms oubliés. Relation en style télégraphique d’un fait anodin d’il y a je ne sais plus combien de temps, mais qui m’avait fortement impressionné. Ordinairement, la rencontre d’une femme et la discussion qui s’ensuivit jusqu’aux larmes de la séparation après l’intermède du lit à durée variable. Nom d’un vieil hôtel où je n’avais fait que passer, numéros de téléphone de bistrots, dates et heures de rendez-vous, titres de films, de livres, factures, photos, avis de décès d’amis lointains dont je n’ai plus qu’à peine le souvenir, additions de restaurants, pour deux, pain et couvert compris, prospectus vantant la méthode Ogino, formule
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