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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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fallait se répéter sans cesse, le cataclysme sous toutes ses formes ne tenait qu’à un fil, suspendu au-dessus de nos têtes chétives.
    Ave Maria. Pater noster. Tout est consommé. Plus qu’à s’endormir sur les deux oreilles.
    Dormez. Dormez, heureux mortels. De ce sommeil qui sera peut-être le dernier. Bouche entrouverte. Lèvres molles. Un limon de salive plaqué aux commissures. Comme un sang pâle. Comme du sang blanc. Râ-râ-râle du mort-vivant. La vie s’avorte au cœur ralenti. Heures de la nuit et des cadavres. Toute une partie de la terre s’achemine en même temps à pas de velours vers l’archipel des gisants. L’homme expire approximativement dans son rêve. Demain est une abstraction de haute mathématique. Demain, qui n’a de sens que vécu.
    Quant à toi, vieux canasson couturé de blessures, ne regarde pas vers les portes du paradis. Le ciel est trop haut et l’herbe trop verte. Continue de brouter au passage, lorsque tu en as l’occasion, les chardons piquants du bord de l’ornière. Ta course désordonnée est une quête d’amour et de mort. Le jour viendra peut-être où, d’un hennissement formidable jailli malgré toi de ta poitrine, tu glaceras le sang de tous ceux qui en percevront l’écho. Ce jour-là, sois sans crainte, comme jadis les murs de la forteresse orgueilleuse, le paradis dans lequel tu rêves d’entrer n’aura plus de défenses, et si tout va bien je te prédis une délégation d’anges en liesse qui te précéderont sur la voie de lumière en faisant retentir les sept trompettes de la prophétie.
    Maintenant encore il me paraît étrange d’avoir été incorporé à cette famille. Cela, sans raison. Sans raison organique, veux-je dire. Brève halte, toute de repos et de bonheur. Qui demeure dans ma mémoire comme un arpent de terre promise. Or, sans m’en douter, cette nouvelle étape allait mettre un terme à l’une des périodes les plus chaotiques de ma vie en me livrant finalement pieds et poings liés aux griffes d’une femme qui ne tarderait pas à vouloir me domestiquer dans le plus pur style de la femelle dévoreuse avide de chair fraîche.
    À dater de ce moment, en effet, le cycle allait se refermer. Comme si quelqu’un se chargeait pour moi de tracer une croix à l’encre rouge sur le passé. La rupture, désormais, n’irait que s’élargissant d’année en année, et peut-être n’a-t-elle atteint son point culminant qu’aujourd’hui, à cette heure même où je rédige ce livre dans une grande pièce aménagée en bureau de travail au premier étage d’une maison de campagne. Ce livre qui est à mes yeux comme un tribunal intime devant lequel je me serais moi-même assigné à comparaître. Afin de mieux me tourner le dos.
    Si l’on me demandait de dire à présent quel homme j’étais à cette époque, je répondrais sans hésiter : Fils aîné de l’insouciance. Habitué depuis toujours à être cahoté de mal en pis. Uranus l’alternant solidement perché en haut de mon ciel de nativité et menant la danse comme un vieil escogriffe échevelé. Me prétendant écrivain sans avoir pu conduire à bien un seul livre, même manqué, même inconsistant. Mendigot jusqu’au bout des ongles. Mes armoiries familiales surmontées de la devise flamboyante : « Rien ne rebute. » Ma force à moi, ma force vraie, inébranlable, étant le mépris. Total. Global. Hargneux. Bonté, générosité, dévouement, solidarité, désintéressement et la suite, autant de formules creuses. N’ont pas cours dans mon vocabulaire. Ici, c’est l’enfer vert. Un œil assassin vous guette, dissimulé derrière chaque brin d’herbe. Dieu n’est pas mort. Moi je sais. C’est bien pire. Dieu dégueule de nausée. Dieu n’en finit pas de vomir sa progéniture vicelarde. Il laisse faire. Débecté. C’est sa honte. Son remords. Ça l’assomme. Il écume. Se tord les mains dans l’abomination. Et tous les chérubins de chialer à l’unisson. La peste est sur la terre. Dans le rognon des âmes. Incurable. Rien à tirer de ce troupeau de bourriques meurtrières. À l’arnaque. Au pognon. Au petit sexe giron. J’achète. Je banque. Je suis preneur. Faites vos prix. Chèque barré, la vie. La vie telle que nous l’avons déformée, telle que nous l’avons acceptée, telle que nous la propageons. Paie en nature ou en espèces. Amène ta fille si t’as pas de liquide. Encore pucelle, c’est une fortune. Wall Street en chœur en perd la boule.

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