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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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l’intérieur. Je pose une fesse sur le bras d’un fauteuil en attendant le bon vouloir de ma patronne. Ne comprenant pas un mot de ce qui se dit et les voyant gesticuler devant moi, c’est comme si je vivais par erreur une séquence de crise d’un asile d’aliénés.
    Je me demande ce que je fais ici, moi le génial écrivain des temps modernes, qui n’a pas encore trouvé le moyen, en dépit d’une liberté presque absolue, d’écrire la valeur de cinquante pages honorables. D’un revers de main je chasse ce nuage gênant. Je vais m’y mettre, que diable, qu’on me laisse le temps de souffler. Il est également indispensable que je puisse m’enfermer pour écrire dans ma chambre d’hôtel plusieurs jours de suite sans avoir à venir ici. Elle sait que je griffonne, mais c’est un sujet sur lequel nous ne nous sommes pas attardés. Mlle Van Hoeck est loin de toutes ces questions. Peut-on le lui reprocher, chère âme ? Pas un seul bouquin dans la maison. Elle ne lit pas. Jamais. À part le journal de son bled qu’elle reçoit par la poste tous les matins. Des feuilles de mode de la Hollande. Des magazines. Une revue d’élégance, aussi. Parisienne celle-là. Dans laquelle je découvre, avec stupéfaction, les photos de nos plus illustres écrivains qui pondent deux lignes mensuelles, comme on a ses règles, à l’intention des milieux grossiums. Je rigole de bon cœur. Dommage que Nora ne puisse en saisir le sel. Avec elle, je tombe à plat. Elle ignore tout et ça l’assomme qu’on en discute.
    Elle a vaguement admis que je réserve pour moi mes matinées. Une liaison à mi-temps. Nourri aux deux repas. Pour lui paraître magnanime, je paie seulement par-ci par-là l’apéritif ou les gâteaux vers les quatre heures. C’est son pognon, naturellement, mais elle aime ça. On passe devant une pâtisserie et c’est moi qui invite. Ça la change, je ne sais pas, ça l’adoucit. Elle devient femme tout comme une autre. J’ai droit à un baiser à la sortie. Un baiser pur. Sur la joue. Elle me prend le bras, elle marche heureuse à mes côtés, elle fait petite fille. Pitoyable. Attendrissant. C’est moche. C’est triste. La vie qui va. J’entre dans le jeu. Je passe mon bras sur ses épaules. Elle se câline. Et nous marchons, nous gambadons sur les avenues, sur les boulevards, nous butinons devant les vitrines. Je fais comme si c’était l’amour. Je l’entraîne par la main, nous courons, elle suit, elle rit, c’est un regain de sa jeunesse. Je m’imagine en compagnie d’une autre femme, celle qui pourrait être à sa place, une autre main que je serrerais, nos doigts entrecroisés. Toutes ces rues que nous parcourons seraient à jamais marquées d’amour. Inoubliables. Lorsque je m’arrêterais, me retournant pour la prendre dans mes bras, son petit corps écrasé contre moi, je verrais ce visage coloré de sang sous la peau tendre, les boucles noires de ses cheveux, et sans rien dire, nous resterions debout au milieu des passants, dans cette immense solitude de l’amour. Je me retourne. Nora est là. Le fard plaqué comme un emplâtre. Flasque des joues. La flétrissure. Ça ratatine autour des yeux. La bouche qui penche sur les côtés. Une épaisseur de toute la peau. Les pores ouverts. Le menton gras. Bourre desséchée de la tignasse. Comme une perruque de clown. C’est vieux. C’est laid. Ça sent la mort. Je devrais lui cracher à la gueule. La gifler. La montrer nue au populo. Ses gros nichons qui se ballonnent. Le ventre blanc comme une ablette. Les oreillettes de graisse caillée vers les aisselles. Et son ivresse sexuelle. Cette folie de se faire troncher. Jusqu’au cercueil. Si tu y mets le prix, je t’enfilerai même une fois morte, Nora chérie. Un coup suprême avant la bière. Et Jiecke m’aidera si besoin est.
    Cette bonne Jiecke qui se fait sonner les cloches parce que Mlle Van Hoeck a les nerfs à fleur de peau ce matin. Parce qu’elle se serait volontiers offert une petite passe avant d’aller au restaurant et que ça ne me disait rien. Elle vide sa hargne sur quelqu’un. À ce que je crois discerner, on en est au chapitre de la poussière. Voyez, ici, tenez, et là, et là encore, jusque sur le cadre des tableaux, dans les recoins derrière les meubles. Elle est vivace, ma Nora ! Elle sautille partout dans la pièce. Elle passe un doigt réprobateur sur les rainures. C’est poussiéreux, effectivement. Jiecke se défend. Donne des excuses. Nora

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