Septentrion
folie ! Et Nora qui est si bonne ! Ne cherche qu’à distribuer son pèze. Généreuse. Moins d’une quinzaine après notre rencontre, elle me fourrait déjà quelques billets supplémentaires dans les poches à l’heure où nous nous quittions. Un boni. Elle sait, cette chérie, que son fric fait partie de sa séduction. Tout à fait clairvoyante. Réaliste. Est-ce que cela compte pour elle, mille de plus mille de moins ? On colle bien tous les deux, à ce que j’ai cru comprendre. J’ai la souplesse voulue. Qualité non négligeable dans mon nouvel emploi, car, peu à peu, Nora a déjà commencé de me molester, acariâtre. Je sens venir le jour où elle me traitera avec moins d’égards que Jiecke elle-même.
Selon elle, je dois tenir le rôle de chien dressé. Savoir rester dans ma niche ou faire le beau suivant les jours. Encaisser ses humeurs lunatiques. Être dans le ton. Obéir. Subalterne. Je ne dis pas que ça ne m’ait pas un tant soit peu révolté sur le moment, mais, à la réflexion, je n’ai rien contre. Ses premières tentatives ont été timides. Elle n’osait pas trop. Juste pour me mettre à l’épreuve. Elle s’est même excusée de sa nervosité, chose qu’elle ne fera plus à l’avenir. Elle voulait savoir si j’accepterais ses coups d’autorité. J’ai abdiqué en souriant. Mi-figue mi-raisin. Lui montrer que je n’étais pas dupe. Les positions étaient claires entre nous.
C’est ce jour-là qu’elle m’a emmené chez un chemisier et m’a offert un lot de cravates et quelques petits accessoires dont j’étais démuni. Ce soir-là également que, pour la première fois, nous avons dîné chez elle tête à tête. Le pacte scellé.
Maintenant, dans moins d’une demi-heure, nous serons assis tous deux dans un restaurant chic et il suffira de commander le pigeon aux petits pois ou le loup au fenouil pour qu’on nous l’apporte avec plein de courbettes et de sourires déférents. Sachez aussi qu’en cours de repas il se trouvera toujours un type gros et gras qui traversera toute la rangée pour venir ostensiblement jusqu’à vous dans le seul but de s’informer si ça vous va, si vous êtes content, si c’était bon, si la vie est belle et le pinard pas trop chambré. Et comment que la vie est belle ! La joie pisse en ruisseaux sur le monde ébahi ! Tout n’est que putaineries, trafics honteux et marchandages. Tout n’est qu’abjections, hypocrisies et chantages. La vie est splendide, larbin ! Les fromages un peu faits, mais ce n’est là qu’un détail quand on songe que les cadavres de gens affamés ne se comptent plus de par la terre. Compliments au chef pour sa béarnaise. Le déjeuner était parfait d’un bout à l’autre et votre téléphoniste que j’ai vue en allant me soulager est exquise, dites-le-lui de ma part, bien que je lui en aie déjà glissé un mot et qu’elle se soit montrée complaisante, sachant que dans votre établissement des clients de notre importance sont à ménager. Vivez heureux et nettoyez nos restes. Nous, pendant ce temps-là, nous allons en tirer un pour activer notre digestion. La joie pisse en cascades sur le monde rayonnant, larbin ! Vive la vie !
L’ascenseur me dépose sur le palier. Pesanteur protectrice de toute la maison. Les pierres elles-mêmes sont habituées au calme, à la continuité. Pas d’imprévu. Les gens d’ici ne vivent pas à cloche-pied, un jour aux as, un jour sans un. Tout est prévu, consistant. C’est vieux et respectable. Ça témoigne d’un passé sans complications. Pas de comparaison avec les garnis, les hôtels, les cambuses au sixième dans les quartiers malingres où le drame est en instance. Ici, ça ne sent que le vieux tapis, la vieille poussière, un goût bienveillant qui fait, depuis l’enfance, partie de la mémoire. Odeur des choses anciennes. Alanguie dans un dépôt au fond du cœur. Jamais d’effluves de cuisine, de cabinets, d’eaux de ménage, d’ordures. Rien que du propre.
Je reste un moment sur le palier à m’imprégner de cette sensation de confort avant de sonner à la porte de Mlle Van Hoeck. Je crois me rappeler quelque chose de connu, d’éprouvé, un contentement très profond qui doit sortir tout droit de mon imagination.
L’appartement de luxe avec tous ses meubles d’époque est réellement somptueux, auréolé de lumière brune, de lumière cuivrée. On dirait qu’il y a toujours un rai de soleil qui ajoute une patine vivante au brillant
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