Septentrion
qu’elle manifeste lorsque je lui parle livres, j’ai pris l’habitude de m’abstenir. S’il m’arrive d’être emballé par une lecture et que je veuille partager avec quelqu’un ma découverte, je passe un petit mot à Wierne ou à Sicelli, ou encore à Martin qui m’invite à venir un de ces soirs manger un morceau en copains. Mes soirées étant prises, la question ne se pose même pas. Je trouve plus commode de faire le mort. Le cercle se resserre. Je serai bientôt tout à vous, Nora, ma vaginale. Je ne comprends plus que manger et bander ferme quand c’est nécessaire, quand cette pieuvre amoureuse s’approche de moi, m’enlace, et que je plonge dans une eau noire. J’espère d’ailleurs qu’un jour ou l’autre je m’y noierai pour de bon et qu’il faudra ce jour-là déplacer la grande échelle pour me retirer de cette posture obscène dans laquelle on ne peut décemment laisser un mort.
La faire jouir. Ne penser à rien d’autre. Mon cerveau est resté dans le porte-parapluies du vestibule. Me rappelle l’y avoir déposé en entrant. C’était le dimanche des Rois ou celui des Rameaux. Juste le dimanche après l’agonie, quoi qu’il en soit. Mon cerveau s’égoutte à côté des ombrelles de Hollande. Je me suis accoutumé à vivre sans lui et je ne m’en porte pas plus mal. Le reste de moi-même gît dans une cellule de six mètres sur six, luxueusement aménagée, lit de satin et draps de dentelles fines. Si je veux manger, si je veux boire, si je veux des cigarettes ou le journal du soir, je n’ai qu’à appuyer sur un bouton et aussitôt un mannequin articulé qui répond au curieux nom de Jiecke apparaît les bras chargés de plateaux. Je ne me serais jamais douté qu’il fut aussi facile d’obtenir ce qu’on voulait. Appuyez sur la sonnette et Jiecke la poupée mécanique vous sert avec le sourire. Vous vous mettez dans la tête d’aller ce soir même au théâtre voir la pièce à succès ? Bonne idée. Pressez le bouton. Votre place sera retenue dans les premiers fauteuils d’orchestre. S’il y a une trace de poussière sur le revers de votre veston, ne vous obstinez pas bêtement à le brosser vous-même. Les choses se font par l’intermédiaire de cette sonnerie miraculeuse. Servez-vous de la sonnette, bordel de Dieu ! J’en arrive à douter de la bonne foi des gens que je fréquentais naguère. Je me souviens que leur vie était constamment encombrée de petits problèmes insolubles. Le fait de se nourrir chaque jour, par exemple, semblait être pour eux une torture permanente. Pourtant, qu’y a-t-il de plus élémentaire ? Un seul coup de sonnette suffit. Quant à l’argent, c’est encore mille fois plus simple : vous vous servez dans le sac à main. Compris ? Si le sac à main est vide, vous passez à la banque. Moi aussi, moi aussi j’ai cru pendant un certain temps qu’il n’y avait pas moyen de s’arranger. Grossière erreur. Si je vous dis que les sacs à main et les coffres-forts sont pleins à craquer, vous pouvez me faire confiance.
Et, pour ne parler que de votre serviteur, je me réveille le matin dans une gomme liquide de bien-être absolu, rotant encore le pinard que nous avons bu la veille, Nora et moi.
Je sais par avance que les rares heures de liberté que je me réserve vont filer avec une incroyable rapidité. Appuyé sur un coude dans mon lit, je regarde mon habitat sordide. Je compare avec l’appartement. Et encore ici, c’est correct. J’ai connu pire. Des niches tassées au fond d’un couloir. Des débarras transformés en chambres. Ici, ça va. Il n’y a qu’en été que c’est un peu dur. Le zinc du toit chauffe à blanc. L’étuve. On ne peut résister qu’à poil du matin au soir. Ce qui, par parenthèse, procure de fameux jetons sur les chambres de bonnes de l’autre côté de la rue. En soutien-gorge, les bonniches. Ou même les nichons carrément nus et le reste aussi, je présume. Elles se savent épiées, elles ont l’habitude. Le soir, c’est la toilette. Elles se tripotent toutes un peu les seins, elles les soupèsent, elles se les flattent, à pleines paumes, les examinent devant leur glace. On dirait que les nichons c’est une grande préoccupation pour elles. S’épiler le dessous des bras aussi. Marrant. J’éteins chez moi. Juché sur une chaise, je me mets en faction. Les types qui habitent les piaules à côté de la mienne en font autant. On est chacun à sa lucarne. Avec des jumelles, ce
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