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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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En grinçant. Les sirènes de police râlaient à mes oreilles. La foule du soir des grandes villes déferlait en courant, bouchant l’issue de chaque rue, repartait dans un autre sens, affolée, se heurtant quelques mètres plus loin à un front d’hommes en uniforme, revolver et matraque au poing, qui chargeaient d’un pas régulier avec dans les yeux ce calme terrorisant de la force sûre de sa puissance. L’incendie que des hommes de main allumaient méthodiquement à chaque point vital de chaque quartier commençait de crépiter partout autour de la foule amassée, cernée par le cordon des policiers implacables qui n’avaient pas encore compris qu’ils allaient eux aussi être pris vivants par les flammes. Nora essayait de me repousser, griffant, m’ensanglantant le visage, me suppliant de me sortir d’elle, de la libérer, mais mon sexe s’était fondu en elle. Nous nous consumions lentement et je retrouvais son cadavre carbonisé sur le lit…
    Je crois me rappeler lui avoir administré à trois ou quatre reprises des réjouissances de ce calibre. Si je l’avais écoutée, friande, j’aurais passé mon temps à fignoler ces exercices de vélocité.
    Car désormais notre vie se présente sous le signe dominant du sexe.
    Mlle Van Hoeck est agrafée à moi. Je porte au flanc cette excroissance qui n’est qu’un déchet de moi-même. Aucun doute que le mal n’aille en s’aggravant, tant et si bien qu’un jour prochain je serai fatalement digéré par cette végétation élastique. Le meilleur serait de tailler dans le vif sans hésiter. Un bon coup de lame. Le courage me manque. Quand accidentellement ma volonté se réveille, c’est pour constater que le ressort est cassé. De loin en loin je me souviens qu’autrefois, effectivement, j’avais eu la prétention d’écrire des livres. Travail qui me paraît dénué d’intérêt. Qu’avais-je donc à apprendre aux autres qu’ils ne sachent déjà ? Moi, écrivain ! Moi qui ne fais que bredouiller ! Pour écrire, il faut être hanté, malheureux, persécuté, ou alors heureux au point de croire sérieusement qu’on a Dieu pour coéquipier. Je ne suis rien de tout cela. Pour la première fois de ma vie, je bouffe régulièrement. Un repas fini, je sais que le suivant m’attend quelques heures plus tard. Que puis-je souhaiter de mieux ? Je voulais m’attaquer au monde, le soulever à bras-le-corps et le pendre à la potence. Je voulais ne faire qu’un avec la masse vivante, être à moi seul le sang et l’âme de tout ce qui respire sur notre terre. Et puis ? À quoi cela rime-t-il ? Dans moins de quarante ans, avant peut-être, je serai dans le trou à mon tour. La boîte en bois, un bout de prière, les cordes pour descendre et les deux terrassiers, pelles en main, qui discuteront du dernier tiercé ou de la fausse couche de la femme d’un de leurs copains. De profundis !
    À quoi cela me servira-t-il d’avoir écrit une quinzaine de volumes ? C’est la vie du corps qui compte. Demandez à Nora ce qu’elle en pense. Jouisseuse. Égoïste. Ne se casse pas les méninges. Fière salope. Comme je lui suis reconnaissant de me rendre la vie facile, c’est-à-dire invivable !
    Elle s’est insinuée en moi comme une maladie perverse. Un cancer. Il ne reste plus de moi qu’une apparence. Je ne crois plus aux fariboles de l’art ni à toutes ces conneries de crève-la-faim. Je ne comprends plus le langage de mes anciens amis. Que veulent-ils dire avec leur besoin de création, leurs disputes sur des mots, des formes, des couleurs, des sons ? Moi, je ne comprends plus que manger et lâcher mon foutre dans un con brûlant. Plus de livres en vue. Plus de vaines espérances. Même plus de personnalité, ce qui est encore mille fois préférable. Joyeux abandon ! Hourrah ! Trois fois hourrah ! Je me foule aux pieds avec une joie mauvaise. C’est mon fantôme que je m’acharne à tuer tous les jours. Parfois, Nora vient me donner un coup de main. Je suis là, dans le salon, étendu en travers du tapis. Cette loque informe, c’est moi. Moi, le créateur qui voulait animer, brasser des centaines de personnages, peupler l’imagination des hommes de visions inoubliables. Voyez ce qu’il en reste. Je me reconnais à cette flamme minuscule qui persiste encore dans l’œil mourant. Dernière goutte de confiance. C’est justement sur cette petite lueur arrogante que Nora concentre ses forces destructrices. Devant la mauvaise humeur

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