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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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du lit parce que j’ai l’impression que je serais capable de lui sauter à la gorge. Et elle, connasse invétérée, qui essaye de couvrir ma voix en criant de plus belle, provocante, faisant face, sifflante comme un aspic. Qu’elle soit là, devant moi, butée et arrogante, me stimule au sang. L’attraper à bras-le-corps, lui flanquer une dérouillée magistrale, voilà qui serait efficace. Seule idée en tout cas qui puisse encore germer du peu de raison dont je dispose. Ensuite pourrions-nous peut-être nous expliquer posément, encore que je ne sois plus guère en mesure de m’emberlificoter dans des explications. Pas plus que d’écouter ni de comprendre ce qu’elle me dit. Il n’y a vraiment que le son de sa voix qui me parvient. Aigu. Lancinant. Sirène folle. Un paquet d’épingles dans la peau. Cette voix, cette voix exécrée, ce fil crissant qui s’entortille dans les oreilles. S’infiltre, me pénètre, me met à bout. M’excite aussi. Drogue violente. Je m’étonne confusément qu’en me voyant dans cet état elle ne comprenne pas qu’elle devrait se taire. Surtout se taire. Ne plus articuler un mot. Attendre que je me vide. Dernière chance de m’apaiser, s’il en reste une. Mais bien sûr, elle n’a rien compris. Monte sur ses grands chevaux. Trouve même que j’y vais un peu fort. Elle me tient tête jusqu’à la gauche, ponctuant ses invectives de longs éclats de rire nerveux, volontairement calculés pour me narguer, pour finir de me mettre à cran. Du moins est-ce ainsi que je vois la chose sur le moment. Je sais également par expérience qu’elle n’aime rien tant que ces climats de foudre en action. Ça l’électrise. Mlle Van Hoeck n’a jamais cédé d’un pouce devant un homme. Ne s’en est-elle pas assez vanté avec toute la morgue voulue ? Elle cherche donc à avoir encore le dernier mot quand il s’agit pour moi maintenant de tout autre chose.
    Hargneuse et imbue d’elle-même comme elle l’est, elle doit se figurer que je vais baisser l’oreille une fois de plus, comme au cours de nos multiples scènes précédentes. Je connais sa recette. Me saouler de paroles et de cris, appuyer sur la chanterelle jusqu’à ce que je considère inutile de m’égosiller plus longtemps pour rien. Claque la porte et vais faire un tour, dans l’espoir de me calmer les nerfs, ne rentrant au bercail qu’une heure ou deux après. Elle n’attend que ça. Et au retour, je serais accueilli comme chaque fois par toutes sortes de railleries humiliantes concernant mon manque de caractère, mon grand amour du bien-être, ma fainéantise, cette lâcheté incurable qui me pousse à revenir toujours au seul endroit de la planète où le lit et le couvert me soient assurés. Est-ce digne d’un homme ? A-t-on le droit, après cela, de faire la fine bouche ? J’ai le droit de la boucler, oui, m’estimant encore bien heureux qu’elle veuille me reprendre quand je reviens frapper à la porte, repentant, parce que, sans elle, je ne suis rien, je ne peux rien, je n’arriverai à rien. Allusion évidente à mon incapacité d’écrire. Une vantardise de plus à mon actif. Écrivain ! Laissez-la rire ! Qu’est-ce qui m’autorise à me comparer à un écrivain ? Ces gens-là passent-ils leur temps à se conduire comme de vulgaires gigolos ? Elle voudrait bien m’entendre citer des noms de célébrités qui vivent actuellement aux crochets des femmes, en ai-je connu beaucoup ? Pauvre de moi ! Je n’ai que l’étoffe d’un raté. Si par hasard je ne m’en doutais pas, elle me l’apprend. Malheureuse épave que le premier grain un peu fort balaiera de la surface comme fétu de paille. Elle m’a jaugé. Soupesé. Elle me destine aux soupes populaires pour le jour catastrophique où son aide viendrait à me manquer. Nous allons voir.
    Et primo, c’est moi qui parle. Et je veux qu’elle m’écoute. Dussé-je pour cela la bâillonner et la ligoter au pied du lit. Ce que je lui annonce en termes plutôt crus, surajoutant une volée de grossièretés choisies parmi les meilleures de mon répertoire.
    N’en croit pas ses oreilles. Elle bondit sous la décharge. Outragée. Elle s’empourpre. Roule des yeux furibonds. Que j’ose, moi, miteux ! Chez elle ! Car elle me rappelle que je suis chez elle, en présence d’une femme. Précaution superflue. Sûr que je ne me croyais pas à une partie de canotage un samedi après-midi sur les eaux irisées du lac Hersenkopffen.

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