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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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Considérant notre histoire du point de vue anecdotique. Un peu à la manière de Pétrone le Latin, vous voyez ? À vous de conclure si le cœur vous en dit pendant qu’il en est temps encore, car ce soir ou demain il sera trop tard. L’angélus des pauvres couvre la campagne apprivoisée. Signal de la conjuration. C’est l’heure du grabuge.
    Forte tête, Nora. Tiendra bon jusqu’à la dernière cartouche. Ce n’est pas grave, je m’y attendais.
    Devinant plus ou moins mes intentions, elle me prévient tout de suite qu’on n’a jamais rien obtenu d’elle par les menaces. Les hommes ne lui font pas peur. C’est qu’ils n’ont pas su s’ y prendre. Il y a une manière, chérie, comme en toutes choses. Peut-être étaient-ils trop timides, trop brouillons. Peut-être leur manquait-il d’avoir vécu ces dernières semaines de querelles incessantes, d’avoir subi sans broncher une avalanche d’excentricités diaboliques en se demandant si la camisole ne les attendait pas à la sortie. Il suffit parfois d’un rien pour modifier un caractère. Moi, par exemple, dans les dispositions où je me trouve maintenant, je vous jure bien que le temps que je vais employer à vous persuader ne sera pas du temps perdu. Maître de mes nerfs, mais aussi parfaitement capable de piller l’appartement, de le mettre à sac sous vos yeux, pièce par pièce, sans aucun égard pour les objets de valeur que vous affectionnez. Il se peut également que je vous enfouisse ensuite sous le tas de décombres, la tête la première, histoire de parfaire la besogne et d’arrêter vos cris de porc égorgé qui commencent à me casser sérieusement les oreilles. Ce ne sont pas à proprement parler des menaces. Vue d’ensemble sur mes impulsions éventuelles. Jugez.
    Je peux suivre le travail de décomposition qui s’opère en elle. Blême. Tout le visage. Les lèvres sèches. Serrées. Si elle en avait la force, elle m’écraserait sous son talon. Elle qui aurait tant voulu être un homme d’après ce qu’elle m’a toujours dit, c’est maintenant qu’elle doit regretter.
    Elle s’est adossée à sa coiffeuse. Les deux mains cramponnées au rebord de la table. Chat sauvage qui se sent pris, ramassé sur lui-même. Elle attend. Elle attend quelque chose, n’importe quoi, sachant que l’attente ne résoudra rien. Elle s’est tue. Elle me fixe. Répulsion, haine, colère, impuissance, mépris, tout ce qui se mélange, tourbillonne dans le regard qu’elle agrippe sur moi. Faites donc, pour ce que j’en ai à foutre ! Tout à l’heure un autre sentiment viendra s’ajouter à ceux-ci. La peur. Une peur authentique. Bien charnelle. Non seulement dans le regard, mais coagulée sur les traits de la figure. Je commence à vous aimer ainsi, à peu près dépouillée de la cuirasse d’apparat, presque faible, à mon niveau. Redevenue femme devant le péril. Pas costaud. Au bord des larmes. Seule image attachante que j’emporterai de vous.
    Nous goûtons là comme un entracte. À la fin duquel, charognarde jusqu’au bout des ongles, elle reprend du poil de la bête. Le genre hautain. Dédaigneux. M’intime l’ordre de quitter sa chambre sans délai. Jiecke, dit-elle, s’occupera de moi, linge, valises et menu fretin. Je n’ai qu’à aller la trouver dans sa cuisine. Après ce qui vient de se passer, plus de pardon à espérer d’elle, elle me ferme sa porte, irrévocablement, j’ai une heure devant moi pour détaler. Si, dans la hâte du départ, on oubliait quelque chose m’appartenant, – quelque chose qu’elle m’a offert, forcément, – on me le fera porter.
    Je me suis assis pendant qu’elle tartinait de la sorte. Profondément enfoncé dans une bergère. Elle voudrait que sa voix fut ferme, tranchante, mais l’indignation prend le dessus. Ça chevrote. Ça fait faux.
    Pourtant, rien que le ton cassant qu’elle choisit pour me réciter son laïus suffirait à me rendre fou de rage. Dix paires de claques ne seraient qu’une juste compensation. Je les sens frétiller dans mes mains. Au lieu de quoi, je lui adresse mon plus beau sourire. Tout doux, ma bien-aimée, je sortirai, je partirai, ne vous affolez pas. Je partirai pour ne plus revenir, c’est une affaire entendue, mais auparavant je vous aurai fait passer par le trou de l’aiguille. Vu ? Ne faites pas semblant de ne pas comprendre. Je ne discute pas pour le plaisir. Il va même falloir brusquer les choses si vous n’y mettez pas du vôtre.

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