Septentrion
faisait tard et que je n’en pouvais plus.
Hier, plus une flèche, la nuit dehors, pas même songé à descendre sur le quai du métro au moins jusqu’à une heure, galopé tout le temps, les rues qui se vident, taxis qui rôdent, la ville sonne le creux minuit passé, funèbre, pointillée de lumières. Marche. Sur le trottoir claquant. M’arrête parfois devant les vitrines éteintes. Des vêtements d’homme, mannequins glacés, roses, souriants, la rangée des dents brillantes, image, simulacre d’une humanité saine, bien vêtue, accueillante, cautérisée. Jamais nulle part une vitrine où l’on verrait des lupus de la face, un ganglion du foie, le gonocoque doré dévorant à belles dents la chair visqueuse des voies urinaires, que sais-je encore ? Un vieillard de la meilleure société, pantalon tombé, suppliant la putain de le branler quelques minutes encore dans l’espoir que ça finira par bander comme autrefois. Toujours l’espoir de quelque chose. À cet effet, tout ce qu’on vous montre est trié sur le volet ; rien que des symboles de la réussite ou de la perfection.
La nuit est claire, klaxon d’ambulance, magasins d’accessoires automobiles, chromes luisants, lignes effilées, pas un grain de poussière, pas une trace de rouille, la poitrine plastique de la boutique de nouveautés, deux seins sous un pull-over, impeccable, provocante de jeunesse, la taille se casse d’elle-même au-dessous de cette proéminence. Suggère évidemment le corps qui devrait aller avec, svelte, gracile, longue souplesse de la peau. La femme que vous avez reçue en partage a peut-être les seins un peu gras, un peu lourds, le mamelon épaté, ses hanches s’épaississent, elle a les reins plats, les fesses trop longues, et pourtant c’est une jolie femme, mais l’idéal qu’on vous propose est là, là dans la petite vitrine, sous son pull mode, et il n’est pas impossible qu’il y ait effectivement des répliques vivantes de cette perfection calculée en vue de l’optimisme général. Des hommes comme vous et moi ont suffisamment de galette pour vivre dans un salon aussi somptueux que celui exposé chez l’antiquaire. C’est à cela que je pensais quand le jour s’est levé, en quête d’un bistrot où je pourrais m’envoyer un café avec la dernière monnaie qui me restait, debout au comptoir, tout mon fric, même pas de quoi laisser un pourboire, le garçon hausse les épaules, me regarde sortir, va te faire doffer, patate !
La rue propre, ciel bleu fade, une légère brume, fera chaud à crever sur le coup de deux, trois heures de l’après-midi. Maintenant, on est bien, ce serait même une promenade agréable si je n’étais pas moulu. Les magasins encore bouclés, pas trop de monde, je pense à cet ami que Wierne connaît, chef de quelque chose dans une boîte de textiles, pourrait peut-être me dénicher une place ou peut-être me donner un tuyau, le textile quel genre de boulot, tous les boulots se ressemblent, plus ou moins dégueulasses, par l’intermédiaire de quelqu’un ça faciliterait les choses, évite les questionnaires, les déplacements pour rien, laisser son adresse, attendre. Toucher Wierne au plus tôt. Pas un rond à mettre dans le téléphone. Il crèche à l’autre bout de la ville, c’est bien ma chance, trop pompé pour m’appuyer ça, j’aurais dû faire voile dans cette direction, n’en parlons plus. Pas sûr que l’olibrius en question puisse me caser du premier coup, si je voyais une pancarte d’embauche sur mon chemin, mais je ne me sens pas bon pour le porte-à-porte, je les ai à la retourne, indéniable, envie de dormir, plutôt rognard, j’en ai jusque-là, à vrai dire. À peine pubère, j’étais déjà dans leurs usines, j’ai vu des flopées de patrons, les socialisants et les autres. Tous la même carne. Vendraient votre peau pour arrondir le chiffre d’affaires. Si je veux, j’ai toute la vie devant moi pour aller m’écouiller, rien ne presse, c’est pas à un jour, ce qui est urgent, un lit pour cette nuit, je n’aurai vraiment pas la force de trottiner encore jusqu’au matin suivant. L’histoire Desmarchy me paraît lointaine bien que distante d’une semaine à peine. Le monde n’est quand même pas peuplé que de salauds, formule magique pour me redonner du courage, en m’y prenant plus tôt que l’autre fois, j’aurai le temps de voir ailleurs si quelqu’un refuse de me coucher. J’élimine d’abord ceux qui habitent
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