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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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ordinaires, en peloter une, l’esprit musarde, est amorcé, on retourne voir, on se lasserait pas, le monde gamberge. Vacheries de souliers. Cuisants. Je boitille. J’ai dépassé deux bancs déjà sans m’asseoir. Un autre à cent mètres. Ça me gêne un peu de m’arrêter. Vais-je, oui ou non, me débrouiller pour ce plumard ? Wierne, Brandès à la rigueur qui me refilerait peut-être le pognon pour une chambre d’hôtel, mais c’est aux antipodes et depuis le temps que je les tape les uns et les autres…
    M’arrête ici, le banc à l’ombre sous un platane, le moineau s’envole à mon approche, cherchait lui aussi sa croûte dans le peu de terre dessous la grille, mes jambes s’alourdissent, deux poids, assis maintenant je ressens toute ma fatigue. Desmarchy c’est grillé, pas la peine d’y penser, voyons les autres, Dumas, Pillet, Jordan, Guénot, je les égrène à tout hasard, des gens que je n’ai pas revus depuis un an, davantage, vont tomber des nues ; Jacquin, Daviot, qui ont tout ce qui leur faut chez eux pour m’installer à vie si ça leur fait plaisir, mais assez d’estomac aussi pour me refouler fermement en m’engageant à ne plus revenir. Fraîcheur bienfaisante sous le feuillage. Flapi pour de bon, je délace mon soulier, la chaussette adhère à la peau, les gens me regardent. Foule moins dense brusquement. Ils vont bâfrer. Déjà midi. Savoir que les autres vont se ruer sur la mangeaille me donne faim. La faim se répand, rayonne dans l’estomac, dans tout le corps, j’ai faim de partout, je suis un récipient vide, il n’y aura jamais assez à manger pour moi, j’ai faim, j’ai faim, l’idée de la faim ancrée dans la cervelle, les noms des plats, des légumes, des viandes m’assaillent en rafales, gigot aux haricots, le jus, le sang cuit qui ruisselle sous la tranchée du couteau ; je vois, je sens, c’est là, ça fume, une main qui tient l’os, l’autre qui découpe, mie de pain pour saucer qui s’imprègne, spongieuse, c’est à point épicé, le goût de mouton, la purée des haricots dans la bouche, et des patates, des pleines assiettes de patates, patates dorées au beurre, frites, au four, à l’eau, en garniture, un plat de patates chaudes et craquantes avec le steak saignant, épais, juteux, pulpe sous la dent, la saveur rouge, un bon bifteck ou autre chose, mais qu’il y en ait beaucoup, beaucoup, que je puisse en reprendre. J’ai faim. La faim. La table est longue, je n’en vois pas le bout, je suis seul dans la cuisine de la ferme, des femmes habillées de noir apportent des plats fumants qu’elles déposent devant moi sans rien dire, je ne sais pas si je suis invité, trop de plats pour un seul homme, pourtant il n’y a qu’un couvert au centre de la table, je voudrais demander si je peux m’attabler, mais ces femmes noires m’intimident par leur silence et la façon qu’elles ont d’entrer, de glisser, dans cette cuisine ombragée, comme si je n’y étais pas ; les femmes noires qui prennent toute la place, je ne vois plus la table, leurs robes larges s’agitent devant mes yeux, tendent un voile, nuit profonde, noire, vide, silencieuse, noire, la main qui serre mon épaule pour me hisser de cette profondeur me tire, tire, me remonte. D’un coup, le bruit m’éclabousse les oreilles, soleil, lumière. Je sursaute. Un bonhomme d’une cinquantaine d’années qui me parle, je ne comprends pas ce qu’il me dit, je le regarde penché sur moi, la rue autour, le bruit, la clarté, me demande si ça ne va pas, si ça ne va pas, qu’est-ce qui ne va pas ? Nom de Dieu ! Je saute sur mes pieds. La trouille qu’ils m’embarquent. Me croient malade. Manquerait plus que ça. Je me porte comme un charme, merci beaucoup, rien qu’un petit somme, c’est la chaleur, merci encore, ça va au poil. Je me carapate. Digne tant que je peux. Le type doit me regarder, trouver ça bizarre. Mon pied droit en bouillie. Je prends sur moi pour ne pas boiter.
    Coup de veine qu’un flic ne m’ait pas repéré. Je ne me suis même pas senti partir, ce que je dormais bien. Ces chieries de grolles et tous les membres endoloris. J’ai mon compte. La citerne est pleine. Immense lassitude morale qui me vide de l’intérieur. À quoi bon ? Lessivé. À plat. On viendrait me dire que dans soixante secondes je ne serai plus de ce monde, j’accepterais avec reconnaissance. Désir de me perdre. Me fondre. M’enfouir. N’être plus moi. Plus rien. La mort

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