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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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doit être prodigieusement reposante. Oubli de soi. Défaite heureuse. L’absolution. L’engloutissement. Comme dans une eau pure. Urbi et orbi, au goupillon de gala.
    Les petites rues boutiquières. Au moins un quart des gens qui se promènent sans se biler, comment le pognon vient-il à ces gens-là et aux gonzesses qui rangent leurs bagnoles contre le trottoir ? Vaut combien une voiture de cette marque ? Un fric fou. Que faut-il faire pour en avoir ? Je ne suis pas bête, pas malhabile. Dormir sur ce banc ne m’a même pas détendu, la fatigue se noue dans chaque muscle, accrochée sous la peau, éteint les nerfs, on pourrait me jeter par terre et me rouer de coups, je n’aurais plus la force de réagir, le peu de courage que j’avais encore s’effrite comme si je le semais derrière moi, je ne sais plus ni pourquoi je marche ni pourquoi je vais dans telle ou telle direction. Je marche. Parce qu’un homme sans argent n’a rien d’autre à faire. Échoue devant un petit square près d’une église. Les enfants jouent, se battent, les femmes assises en groupe, le gardien vert pisseux devant sa guérite. L’horloge sonne l’heure. Vol de pigeons. Le soleil sec blanc doré qui tape sur le goudron. Il est cinq heures dans un monde libre et civilisé. Chacun a sa place. Le gardien pisseux. Le vol de pigeons. L’horloge. Les mères. Les enfants. Le tas de sable. Le goudron chaud. La vespasienne. Et si vous le permettez, moi-même, vagabond attardé de la cinquième heure citadine du désespoir méthodique. Il est cinq heures d’un jour torride dans le siècle de la dévitalisation. Cinq heures d’un univers cimenté et mortel. Que serai-je devenu le jour où sonneront les cinq heures de ma quarantième ou cinquantième année, où en serai-je et dans quel état d’esprit, si toutefois vingt ans plus tôt j’ai réussi à me mettre quelque nourriture sous la dent et à me coucher huit heures de suite dans un lit ? Ne comprends pas qu’à travers tant de péripéties de tous ordres les hommes ne se soient pas encore débrouillés pour que le boire et le manger ne posent plus de problème. Me dis cela en faisant une station devant l’épicerie fine, produits italiens, anglais, hollandais, mélanésiens aussi peut-être bien. Profusion. Bocaux d’olives farcies, oignons, champignons, fonds d’artichauts baignant dans la sauce tomate, l’eau me monte à la bouche, et les cornichons, manger un cornichon, un seul cornichon, avec un bout de pain, croquer dedans, sentir gicler le vinaigre, la saveur acide, bon Dieu ! je m’en taperais un plein bocal, les pickles, tous ces petits bouts de légumes confits, il y en a une dizaine de pots dans la vitrine, de différentes couleurs selon leur assaisonnement, rouge clair, rouge-brun, vert, noir, d’un rose léger, je me promets que le jour où j’aurai de l’argent, je viendrai ici, ici même, dans cette épicerie, en acheter un pot de chaque marque. Les boîtes de conserve en pile, il y a de tout, de tout, c’est une perpétuelle invention de recettes culinaires comme si dans tous les coins du monde on passait son temps à ça, crevettes roses au naturel, truites saumonées des torrents, par boîtes de quatre, jambon de Prague, saveur d’origine, jambon à la gelée au porto, saumon au coulis d’écrevisses, pâté de lièvre, filets de soles à la sauce aux clovisses, roues entières de fromages fruités, gâteaux sous cellophane aux parfums exotiques, il y a de tout, de tout, les deux vitrines bourrées sur plusieurs étages, des tables pleines, des saucissons, jambons pendus, l’arrière-boutique pour les réserves et peut-être les caves et peut-être ont-ils encore un dépôt bourré lui aussi, des mètres cubes de comestibles – je la saute !
    Migraine latente depuis un moment. Est-il possible que dans une ville un homme reste plusieurs jours de suite sans manger ? L’heure tourne. Ne pas attendre la nuit pour m’amener chez les gens la bouche en cœur. Je me répète cela depuis ce matin, depuis hier soir, depuis toujours. Aller où ? J’ai eu l’occasion de passer des soirées avec quantité de gars sympathiques qui ne demanderaient peut-être pas mieux que de me rendre service aujourd’hui ; le myope qui semblait captivé par mon projet de devenir écrivain et par toutes mes idées à la redresse, il m’avait invité à lui faire une petite visite en me donnant son adresse. Et les femmes. J’y ai pensé, mais à part une ou deux,

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