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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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Dieu sait où sont passées les autres, les ai plaquées sans un mot d’explication, je les vois d’ici, le sarcasme à la bouche. De quoi j’aurais l’air si l’un de mes remplaçants venait m’ouvrir la porte ? Chaleur du soir. Halo de tiédeur grasse. Suffocant. Les gens bouffent des glaces aux terrasses. La langue et le palais comme de la corne. Le nez sec. Rêche. Aller directement chez Wierne, ça fait une tirée, mais chez lui je pourrais m’allonger, me tremper les pieds dans l’eau, me laver, manger un morceau, boire, fumer, ça me retaperait. Pas le courage de m’embarquer. Sicelli crèche aussi loin, mais dans la direction opposée. Brandès carrément en banlieue. Peur, subitement. Qu’adviendrait-il si demain, au petit jour, je me retrouvais encore dehors ? Peur d’enfant, peur folle, rapide, vertigineuse comme dans un mauvais rêve. J’ai l’impression de sentir la dimension exacte de mon estomac. Une poche que je soupèserais en moi. Toute la nuque engourdie.
    Et au moment où je ne pense plus qu’à une seule chose, aller m’asseoir sur la barrière qui entoure une statue un peu plus bas, à ce moment le nom de Livonnier me traverse l’esprit. Détaché. Comme sur un miroir. La mécanique se remet en route, je me sens d’attaque. Ne doit pas être plus de sept heures. Je serai chez lui vers huit heures, huit heures et demie. Je les trouverai à table. M’offriront de casser la croûte avec eux, pas de refus. Je redémarre.
    Ça fait trois ou quatre ans que je le connais, quatre ans. Je l’ai rencontré chez Sicelli. Ça doit même faire plus que ça. Cinq ans. N’était pas encore marié ou venait de se marier, taquinait un peu le pinceau à ses heures, peintre du dimanche. La dernière fois, c’est encore chez Sicelli que nous nous sommes revus. Ça remonte à quoi, cinq ou six mois. Venait d’être bombardé à un poste de première bourre dans sa boîte où il avait déjà une planque en or. Nous avait gentiment suggéré de faire appel à ses finances, le cas échéant. Quitter mes chaussures, allonger mes jambes, tomber dans le sommeil pour toute une nuit. Il habite un grand immeuble, je suis passé devant une fois avec Sicelli. Un grand truc moderne. C’est au 24 ou au 27, du côté droit de la rue en remontant, chiffres impairs, donc au 27, je me rappelle une sculpture au-dessus de la porte d’entrée, nous marchions peut-être dans l’autre sens, ce serait les pairs, alors 24, lui dire tout de suite pourquoi je viens, c’est sur le même trottoir qu’une librairie, quelques maisons plus bas, je ne risque pas de me tromper, j’avais voulu regarder les livres et ce n’est qu’ensuite que Sicelli m’a montré la maison, 27. Deux flics de faction, les pouces dans le ceinturon, me regardent venir, je suis sur le point de traverser, et quoi, merde, je serais bien con, je n’ai rien à me reprocher, tant mieux pour eux s’ils ont la popote assurée tous les soirs, moi pas. Je leur pisse au cul à ces guignols ! Le domicile mis à part, je suis en règle, je réside provisoirement chez un ami, j’y vais de ce pas, c’est le chemin. Ne me lâchent pas des yeux. Qu’est-ce qu’ils peuvent me faire ? Mes papiers, c’est tout. Profession : écrivain, homme de lettres, ne vous en déplaise. Trop lourdingues pour vouloir connaître les titres de mes bouquins présumés. Si ce n’est que ça, j’en ai plein la tronche. Fumants, même ! L’Œil-de-Bœuf sexocosmique, ça vous va ? L’Homme crucifié, Corail clitoridien, et que dites-vous du dernier en date : Mon Compagnon s’appelle Jésus ? Est-ce suffisamment évocateur pour vos cervelles de hérons, ou dois-je encore en énumérer d’autres plus reposants, comme par exemple la Réalité humaine, ou le Temps du devenir ? Passe devant eux, le front soucieux, l’air absorbé, prêt à parier qu’ils vont m’interpeller. Dix mètres, vingt mètres. S’en foutent, oui ! Mon imagination qui travaille, rien de plus. Encore cette rue passablement longue, on débouche sur une petite place encaissée entre des immeubles, ensuite la première à droite et encore la première à droite. J’arriverai chez eux avant huit heures. J’aurai mon lit, ma nuit de repos. Demain, il sera temps de sortir les flèches du carquois, mais il n’en demeure pas moins que j’en suis à mendigoter une chambre et à trembler d’un éventuel refus. Pile ou face. Je suis un pou. De père et mère poux. Né viable, destiné à

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