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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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cette femme entendant les bruits de ma toilette répercutés dans le silence, demandant à son mari qui je suis et ce que je viens faire. J’ai su en arrivant sur le palier, en sonnant à leur porte, que je m’étais trompé. La déception est passée. Dépassée. Il ne me reste que la marque de la déception. Comme l’endroit sensible d’une plaie guérie. Plus d’affolement. Les sentiments vont par ordre de grandeur. Au fond, c’est le calme plat. Le dos au mur. L’immobilité du consentement. Je suis en train de lui expliquer que, me trouvant à court d’argent, c’est à lui que j’ai pensé. Oui, il s’y attendait. J’ai bien fait. J’aurais dû lui téléphoner à son bureau dans l’après-midi. Sicelli a son numéro. Je n’ai pas vu Sicelli aujourd’hui. Je pouvais téléphoner à son hôtel et demander son numéro. Oui, je n’y ai pas pensé. Quand ai-je vu Sicelli pour la dernière fois ? J’hésite à répondre. Il était peut-être lui-même chez Sicelli hier ou avant-hier. Je ne peux pas lui dire qu’il y a plusieurs semaines. Le sourire a noté mon hésitation. D’ailleurs, c’est de peu d’intérêt. Il m’a posé cette question par hasard. Lui a vu Sicelli samedi dernier. Qu’est-ce que je pense de lui ? N’attend pas la réponse. Excellent garçon, n’est-ce pas, intelligence très spéciale, éminemment créatrice. Il débite des phrases comme si c’était un moyen de ne plus me questionner. Flot de paroles et son sourire continuel. Lointain à présent. S’éloignant de plus en plus à mesure qu’il parle. S’il me restait encore assez de volonté pour lui dire la vérité de bout en bout, sans omettre un seul détail, comme par exemple la sueur entre les cuisses et le velours qui me brûlait en marchant, est-ce que je n’arriverais pas à tarir ce sourire ? Il va me donner de l’argent. Le poser sur la table, là, entre nous. Il me tapera sur l’épaule. Nous nous séparerons. Il n’a qu’une centaine de mètres à faire pour aller retrouver dans son paradis plastifié l’albatros de moire qui doit attendre son retour, ailes déployées sur un banc de varech artificiel. Allez où le devoir vous appelle et emportez avec vous votre sourire d’éternité frigide. Merde pour lui comme pour les autres ! Vingt fois merde ! Vous serez peut-être tous à mes pieds un jour. Mes humiliations font partie du butin.
    D’un trait ce qui reste au fond de son verre. Il a déjà appelé le garçon et réglé les consommations. Le temps imparti par un distributeur invisible doit être écoulé. Nous devons partir. Quand va-t-il me donner cet argent ? A-t-il compris que j’avais besoin d’argent ? Je fais le mouvement de me lever. Il est debout en même temps que moi. Quelques pas dans la rue. Il aime ce quartier pour sa tranquillité, ses dégagements. Intelligemment conçu. Par son unité. Façades propres. Dure précision. Si Dieu venait à se mêler de vouloir chambouler cet ordre de choses, il serait obligé de prévenir par formulaire, de demander l’autorisation.
    Arrêt subit. Je ne sais pas comment ça se passe, mais je suis poussé à tendre la main et à la refermer sur l’argent. Pas un mot. Je mets rapidement le billet dans ma poche parce que je pense que je vais devoir lui donner une poignée de main. Jeu de manipulateur. Sa main, la mienne. Nos rapports d’homme à homme doivent se terminer dans la minute qui s’écoule. Limite de franchissement. C’est lui qui a été très heureux de me revoir. Peut-être aurons-nous l’occasion. Chez Sicelli. Un jour prochain. Chez Sicelli, ou au musée des antiquités. Ou à la droite du Père, plus probablement. Enchanté d’avoir passé ce moment avec moi. Bonne chance. Ne pas manquer de lui envoyer mon livre quand il paraîtra. Silhouette dégagée devant moi. Le tissu du costume sait ce qu’il a à faire pour faciliter chaque mouvement. Je reste sur place. Les bras ballants. Silhouette absorbée par la façade, là-bas. La rue lustrale. Pommadée de lumières. Il me faut un moment pour rompre avec l’envoûtement de cette amabilité méthodique. Pour m’apercevoir du vide que cet homme creuse en vous et autour de vous à l’abri de sa correction exemplaire.
    Figé sur le trottoir. Sous l’éclairage. On se réveille graduellement. La nausée dans la bouche. Dans la tête. Le corps fracassé. Je me traîne de quelques pas. Du côté opposé, m’éloignant de cet immeuble. Se soustraire à la rectitude

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