Sépulcre
paraissait banal dans sa simplicité.
S’il y avait un sépulcre depuis longtemps oublié dans les terres du domaine, il devait être enfoui au plus profond des bois, loin de la maison. Prenant le chemin de gauche, elle s’enfonça dans la semi-pénombre. Le sentier avait l’air très peu fréquenté. Il était jonché de feuilles mortes et il n’y avait pas d’ornières, signe que le jardinier et sa brouette n’y étaient pas venus depuis longtemps.
Léonie se rendit compte qu’elle remontait la colline. Le sentier devenait plus rude et se rétrécissait, empiété par des pierres, des coulées de terre et des branches tombées des taillis épais qui l’entouraient. Elle avait l’impression que le paysage se refermait sur elle. En surplomb s’alignait une corniche escarpée couverte de broussailles, de buissons d’aubépines et plantée d’ifs entrelacés qui dessinaient sur le ciel un liseré de dentelle noire, dans la semi-pénombre. Léonie se sentait un peu oppressée. Ces bois ténébreux semblaient oubliés des hommes comme des animaux. On n’entendait aucun chant d’oiseau ni aucun bruit dans les fourrés indiquant que des lapins, renards ou mulots décampaient à son approche pour regagner leurs terriers.
Bientôt le terrain qui bordait le sentier plongea abruptement sur la droite. Plusieurs fois Léonie délogea en marchant des pierres qu’elle entendit s’ébouler dans l’abîme en dessous. Ses inquiétudes s’avivèrent. Il ne fallait pas avoir beaucoup d’imagination pour songer aux esprits, fantômes et apparitions dont le jardinier et M. Baillard, l’auteur du livre, prétendaient tous deux qu’ils hantaient ces lieux retirés.
Alors elle déboucha sur un plateau situé sur le flanc de la colline, d’où l’on avait vue sur les montagnes au loin. Un petit pont de pierre enjambait un caniveau tapissé d’une coulée de terre brune qui venait croiser le chemin à angle droit, un conduit érodé par le flux violent des eaux fondues au printemps et qui, en cette saison, était à sec.
De loin, le paysage encadré par les falaises qu’elle entrevoyait par-dessus les cimes de petits arbres ressemblait à un tableau. Les nuages couraient dans l’immensité du ciel et une brume de chaleur flottait dans les creux et les courbes des collines.
Léonie inspira profondément, en proie à une douce extase. Comme elle était loin de la civilisation, de la rivière, des toits gris et rouges de Rennes-les-Bains, du clocher-mur et de la silhouette massive de l’hôtel de la Reine. Isolée dans son cocon de silence au creux des bois, Léonie imagina l’atmosphère bruyante de la ville, le brouhaha des conversations dans les salles et aux terrasses des cafés, les bruits de vaisselle dans les cuisines, le tumulte des voitures et des charrettes qui passaient dans la grand-rue, les cris du cocher, tandis que le courrier faisait halte sur la place du Pérou. Alors le doux tintement de la cloche de l’église lui arriva, porté par le vent.
Déjà 15 heures.
Quand elle entendit son faible écho mourir dans le silence, son esprit d’aventure s’évanouit avec lui, et les paroles du jardinier lui revinrent.
Gardez bien votre âme.
Elle regrettait de ne pas avoir demandé à quelqu’un, lui ou un autre, de lui indiquer un chemin. Il fallait toujours qu’elle n’en fasse qu’à sa tête, sans se faire aider de personne. Surtout, elle s’en voulait de n’avoir pas songé à emporter le livre.
Mais je suis allée trop loin pour rebrousser chemin, pensa-t-elle.
Relevant le menton d’un air crâne, elle avança d’un pas décidé en combattant le doute qui s’insinuait en elle et lui susurrait qu’elle s’était trompée de direction. C’était à son instinct qu’elle s’était fiée de prime abord, sans carte ni conseil d’aucune sorte. Pourtant elle regrettait sa fierté et son manque de prévoyance. Au moins, elle aurait pu penser à emprunter une carte du Domaine. Il devait bien en exister, même si elle n’en avait vu aucune dans la bibliothèque.
Il lui vint à l’esprit que personne ne savait où elle était allée. Si elle tombait ou se perdait, personne ne saurait où la retrouver. Elle aurait dû laisser une trace de son passage. Des petits bouts de papier, ou encore des cailloux blancs, comme Hansel et Gretel l’avaient fait dans les bois pour marquer le chemin du retour.
Il n’y a aucune raison pour que tu te perdes, se rassura-t-elle.
Léonie avança plus
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