Sépulcre
en l’obligeant à le prendre. Or c’était La Tour qui était posée sur le dessus, une image un peu sinistre, avec son arrière-plan gris-vert et ses arbres, qui semblaient toutefois plus vifs de couleur qu’à Paris, par cet après-midi nuageux.
Sans s’attarder, elle dégagea un peu d’espace sur le bureau, posa les cartes, puis sortit son carnet de son sac à main, en regrettant de n’avoir pas pris le temps la veille au soir de transcrire sur l’ordinateur les notes qu’elle avait gribouillées à la va-vite à propos du tirage.
Meredith hésita un moment. Si elle disposait les dix cartes ici, au calme, dans le même ordre, sans rien qui vienne la distraire de ses pensées, peut-être y verrait-elle d’autres choses ? Mais elle renonça à cette idée. C’était moins la lecture en elle-même qui l’intéressait que les données historiques qu’elle s’efforçait de rassembler sur le tarot Bousquet et la façon dont les cartes s’intégraient à l’histoire du Domaine de la Cade, des Vernier et de la famille Lascombe.
Meredith tria les cartes pour en tirer les vingt-deux arcanes majeurs. Mettant le reste de côté, elle les étala sur trois rangées, plaçant Le Fou en haut, comme Laura l’avait fait. Les cartes lui semblèrent différentes au toucher. Hier elles la rendaient nerveuse, comme si le simple fait de les manipuler la compromettait. Aujourd’hui, c’était idiot, mais elles lui semblaient animées de bonnes intentions.
Elle appuya la photographie sur le bureau devant elle et étudia les personnages en noir et blanc figés dans le temps. Puis elle baissa les yeux sur les images colorées des cartes.
Un instant, elle fixa son attention sur Le Pagad, avec ses yeux bleus, ses épais cheveux noirs, et les symboles du Tarot réunis tout autour de lui. Une image séduisante, mais était-ce un homme à qui l’on pouvait se fier ?
Alors elle eut encore ce picotement dans la nuque qui descendit tout le long de sa colonne vertébrale à mesure qu’une nouvelle idée se formait dans son esprit. Serait-ce possible ? Elle écarta Le Magicien, prit la carte I, Le Mat, et la tint près de la photo encadrée. Maintenant qu’ils étaient côte à côte, le doute n’était plus permis : c’était M. Vernier lui-même, avec son air avenant, sa silhouette élancée, sa moustache noire.
Vint ensuite la carte II, La Prêtresse. Elle avait le teint pâle, l’air évanescent de M me Lascombe, même si elle était sur la carte en robe de soirée décolletée, et non habillée comme sur la photo d’une tenue plus collet monté. Plus bas, les deux personnages figuraient ensemble sous le titre Les Amants, enchaînés au pied du Diable.
Enfin, la carte VIII, La Force : M lle Léonie Vernier en personne.
Meredith sourit malgré elle. C’était avec cette carte qu’elle se sentait le plus d’affinités, presque comme si elle connaissait la jeune fille. En fait, Léonie ressemblait à l’image qu’elle se faisait de Lilly Debussy. Elle était plus jeune, mais on retrouvait chez elle les mêmes grands yeux innocents, les mêmes lourdes boucles cuivrées ; sur la carte toutefois, ses cheveux étaient lâchés au lieu d’être disciplinés comme sur la photo en une sorte de chignon. Surtout, les deux images avaient en commun le même regard franc et direct.
Une lueur de compréhension pointa dans son esprit, qui s’éteignit avant que Meredith ait pu la saisir.
Elle tourna son attention vers les autres cartes des arcanes majeurs qui étaient sorties au cours de la journée : Le Diable, La Tour, L’Ermite, L’Empereur. Elle les étudia chacune leur tour, en ayant de plus en plus l’impression qu’elles la détournaient de son but au lieu de l’en rapprocher.
Meredith s’appuya contre le dossier du vieux fauteuil qui gémit un peu. Elle croisa les mains derrière sa tête et ferma les yeux.
Qu’est-ce qui m’échappe ?
Revenant au tirage, elle laissa libre cours à ses pensées, permit aux paroles que Laura avait prononcées de couler sur elle dans le désordre, afin que les motifs émergent d’eux-mêmes.
Les octaves. Tous les huit.
Huit, chiffre de la plénitude, de l’achèvement. Il y avait eu aussi un message explicite parlant d’interférence, d’obstacles, de conflit. Dans des jeux plus anciens, La Force et La Justice portaient toutes deux le chiffre huit. La Justice et Le Pagad avaient tous deux le symbole de l’infini, comme une figure de huit couchée sur
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