Sépulcre
consommé de bœuf, puis fut en proie au vague à l’âme qui suit inévitablement tout grand événement. Elle avait attendu ce dîner avec tant d’impatience qu’elle ressentait maintenant comme un grand vide, une absence de perspective.
Pendant ce temps, Isolde allait de pièce en pièce avec son habituelle sérénité, mais Léonie distingua chez elle un changement, une sorte de légèreté, comme si elle était libérée d’un lourd fardeau. Une nouvelle lueur dans ses yeux gris laissait penser qu’aujourd’hui, peut-être pour la première fois, elle se sentait la châtelaine du Domaine, qu’elle avait pris possession de la maison plutôt que de subir son emprise. Anatole aussi sifflotait en allant du vestibule à la bibliothèque, du salon à la terrasse, avec l’air conquérant d’un homme qui a le monde à ses pieds.
Plus tard dans l’après-midi, quand Isolde lui proposa de se promener dans les jardins, Léonie accepta. Le grand air lui ferait du bien, et elle serait contente de se dégourdir les jambes. Il faisait bon, dans la tiédeur paisible de cette après-midi d’automne, et elle retrouva vite sa bonne humeur.
Tout en marchant vers le lac, elles bavardèrent gaiement, parlant de musique, de livres, des derniers caprices de la mode.
— Alors, dit Isolde. Comment comptez-vous occuper votre séjour ? Anatole m’a dit que vous vous intéressiez à l’histoire et à l’archéologie locales ? Il y a des excursions magnifiques à faire par ici. Au château de Coustaussa, par exemple.
— Ça me plairait beaucoup.
— Anatole m’a dit aussi que vous aviez pour la lecture autant d’appétit que d’autres femmes en ont pour les bijoux et les vêtements.
— Il trouve que je lis trop, protesta Léonie en rougissant. Mais c’est parce que lui ne lit pas assez ! Il connaît tout des livres en tant qu’objets, mais ne s’intéresse pas à leur contenu.
— C’est sans doute pour cela qu’il a été recalé à son baccalauréat ! s’exclama Isolde en riant.
— Il vous l’a raconté ? s’étonna Léonie.
— Non, bien sûr, se hâta de répondre Isolde. Quel homme irait se vanter de ses échecs ?
— Alors…
— Malgré leur manque d’intimité, mon défunt mari aimait prendre des nouvelles de ses neveu et nièce auprès de votre mère.
Léonie lui jeta un coup d’œil, intriguée. Sa mère avait bien dit que la communication entre elle et son demi-frère se bornait au strict minimum. Elle s’apprêtait à la questionner, mais sa tante la précéda et l’occasion fut manquée.
— Vous ai-je dit que j’avais pris récemment un abonnement à la Société musicale et à la Lyre de Carcassonne, même si jusqu’à présent je n’ai pu assister à aucun concert ? Vous risquez de vous ennuyer, à rester ainsi cloîtrée dans ce coin perdu, si loin de toutes distractions. Je m’en rends bien compte.
— Mais non, je suis tout à fait ravie d’être ici, assura Léonie.
— C’est gentil à vous, dit Isolde en souriant. Mais je vais être obligée d’aller à Carcassonne dans les semaines à venir. Nous pourrions en profiter pour y passer quelques jours. Qu’en dites-vous ?
— Ce serait merveilleux ! répondit Léonie, enthousiaste. Quand ça, ma tante ?
— J’attends une lettre des notaires de mon défunt mari, au sujet d’un point de procédure à régler. Dès que j’aurai des nouvelles, nous organiserons notre départ.
— Et Anatole, il nous accompagnera ?
— Évidemment. Il m’a dit que vous aimeriez visiter l’ancienne cité médiévale. Suite à un remarquable travail de restauration, elle est très proche de ce qu’elle était au XIII e siècle. Il y a une cinquantaine d’années, ce n’était qu’un tas de ruines. Grâce à M. Viollet-le-Duc et à ceux qui ont continué son œuvre, on a nettoyé le cœur de la ville de ses taudis et, aujourd’hui, elle se visite en toute sécurité.
Ayant atteint le bout du chemin, elles bifurquèrent vers le lac, puis gagnèrent le petit promontoire ombragé qui offrait un merveilleux point de vue sur l’eau verte et paisible.
— Maintenant que nous nous connaissons mieux, m’en voudriez-vous de vous poser une question un peu intime ? s’enquit Isolde.
— Non, tout dépend de la nature de la question, répondit Léonie, sur ses gardes, ce qui fit rire Isolde.
— Je me demandais si vous aviez un admirateur… Pardon si j’ai trop présumé de notre amitié, ajouta
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