Sépulcre
l’on voyait de la maison, bien qu’il fut situé un peu à l’écart. Les seuls bruits qui rompaient le silence étaient ceux des brindilles craquant sous leurs pieds et des lapins détalant dans les fourrés. Loin, au-dessus de la cime des arbres, des corbeaux croassaient.
Isolde mena Léonie sur la butte, jusqu’à un banc de pierre en forme de croissant de lune dont les arêtes étaient adoucies par l’usure du temps. Elle s’y assit et invita Léonie à la rejoindre.
— Dans les jours qui ont suivi la mort de mon mari, je venais souvent ici. Je trouve cet endroit reposant.
Isolde ôta l’épingle qui retenait sa capeline et la posa sur le banc à côté d’elle. Léonie fit de même et enleva aussi ses gants, en observant sa tante à la dérobée. Elle était assise, bien droite, comme toujours, les mains posées sur les genoux. Ses cheveux dorés brillaient au soleil et le bout de ses bottines dépassait du bas de sa jupe en coton bleu pâle.
— Vous avez dû vous sentir bien seule ici, non ? demanda Léonie.
Isolde acquiesça en hochant la tête.
— Nous n’étions mariés que depuis quelques années. Jules était un homme aux habitudes assez rangées. La plupart du temps, nous ne séjournions pas ici. Du moins, pas moi.
— Mais vous vous y sentez bien, maintenant ?
— Disons que je m’y suis habituée, murmura Isolde, laconique.
Toute la curiosité de Léonie, un peu passée à l’arrière-plan à cause des préparatifs de la soirée, ressurgit d’un coup. Mille questions se pressèrent dans son esprit, dont l’une, et non des moindres, était de savoir pourquoi Isolde choisissait de rester au Domaine de la Cade, alors qu’elle ne s’y sentait pas à l’aise.
— Oncle Jules vous manque-t-il à ce point ?
Au-dessus d’elles, les feuilles frémissaient et murmuraient dans le vent, comme une présence indiscrète, tendant l’oreille.
— C’était un homme estimé, répondit Isolde après un soupir. Et un bon mari, prévenant, généreux.
— Mais quand vous m’avez parlé d’amour tout à l’heure… commença Léonie, intriguée.
— On n’épouse pas toujours celui qu’on aime, l’interrompit Isolde. Les circonstances, l’occasion, les nécessités de l’existence, toutes ces choses entrent en ligne de compte.
— Je me suis demandé comment vous aviez fait connaissance, poursuivit Léonie. D’après ce qu’on m’en a dit, j’ai cru comprendre que mon oncle quittait rarement le Domaine de la Cade…
— C’est vrai, Jules n’aimait guère s’en éloigner. Il avait ici tout ce qu’il désirait, entre ses livres et les affaires du domaine, qu’il prenait très au sérieux. Pourtant il avait coutume de monter une fois par an à Paris, comme du vivant de son père. C’était devenu une sorte de rituel.
— Et ce fut durant l’une de ces visites qu’on vous présenta l’un à l’autre ?
— En effet, dit-elle.
Ce n’était pas tant les propos d’Isolde que son attitude qui intriguait Léonie. Sa tante avait porté la main à son cou, recouvert d’un haut col à la dentelle délicate, malgré la douceur de l’air. Ce geste revenait souvent chez elle, Léonie l’avait déjà remarqué. Et Isolde avait brusquement pâli. Comme si un souvenir déplaisant avait surgi dans son esprit, qu’elle préférait oublier.
— Donc il ne vous manque pas tant que ça, conclut Léonie.
Isolde eut l’un de ses longs sourires énigmatiques, et cette fois, Léonie n’eut plus de doute. L’homme dont Isolde avait parlé avec tant de passion et de tendresse n’était pas son défunt mari.
Elle l’observa à la dérobée, démangée par l’envie de poursuivre la conversation, mais craignant de se montrer sans-gêne. Car, malgré toutes ses confidences, Isolde ne lui avait encore rien révélé sur ses fiançailles ni sur son mariage. Par ailleurs, Léonie avait eu plusieurs fois l’impression que sa tante s’apprêtait à aborder un autre sujet, plus délicat, dont elles n’avaient pas encore parlé. Mais elle n’avait aucune idée de ce que cela pouvait bien être.
— Si nous rentrions, maintenant, suggéra Isolde, brisant le cours de ses pensées. Anatole va se demander où nous sommes.
Elle se leva. Léonie prit son chapeau, ses gants, et fit de même.
— Alors, tante Isolde, continuerez-vous à vivre ici ? questionna-t-elle tandis qu’elles descendaient du promontoire vers le chemin.
Isolde resta un instant
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